Que deviennent les blobs depuis l’EIP 4844 ? Analyse d’Ethereum et des L2
20 novembre 2024

Huit mois après l'implémentation de la mise à jour Dencun sur Ethereum, les promesses sont-elles tenues ? Dans cette analyse, nous nous intéressons à l'impact des "blobs", le comportement des layer 2 et l'avenir pour le réseau Ethereum.
Rappel sur l'EIP-4844 et les blobs
Contexte pour Ethereum et les Layer 2
Le paysage des blockchains de Layer 2 d’Ethereum a été complètement chamboulé depuis le déploiement de la mise à jour Dencun, le 13 mars 2024. Celle-ci a introduit l’EIP-4844, un nouveau mécanisme permettant de résoudre un problème majeur pour les Layer 2 d’Ethereum : le coût de la disponibilité des données sur la couche principale.
Avant Dencun, les L2 étaient obligés d’inscrire leurs données de transactions directement dans les blocs d’Ethereum, faute d’alternative. Cependant, ces blocs n’étaient pas conçus pour cela, ce qui entraînait une congestion de la blockchain Ethereum. Autrement dit, les frais augmentaient sur les L2, mais également sur le L1, et tout le monde en pâtissait.
L’implémentation de la mise à jour Dencun a permis de répondre à cette problématique en introduisant un nouveau marché de frais indépendant des blocs d’Ethereum, spécifiquement adapté aux besoins des L2, réduisant ainsi leurs frais de manière significative.
Détails du fonctionnement des blobs
Pour aller plus en détail, l'idée de Dencun était de proposer un système avec des frais indépendants et une disponibilité des données temporaires plutôt que définitive, comme dans les blocs traditionnels. En cas de congestion, ce nouveau marché n’impacterait pas les frais sur le L1, et inversement.
Ces nouveaux espaces dans les blocs sont appelés "blobs" et sont actuellement limités à 6 par bloc d’Ethereum (ce nombre pourra évoluer jusqu’à 16 blobs par bloc). Lors de l'implémentation de Dencun, un objectif de 3 blobs par bloc a été fixé. Cela représente le nombre de blobs à partir duquel, s’ils sont tous remplis, les frais augmentent de manière significative, à un rythme estimé d’environ 12 % par bloc.

Ce mécanisme vise à inciter les L2 à utiliser les blobs tout en restant sous la limite, et encourage la compression des données à mesure que l’on se rapproche de la limite des 3 blobs, lorsque l’espace devient plus coûteux.
Quelques informations importantes :
- Un blob est composé de 4096 éléments de champ, mesurant chacun 32 octets.
- La capacité de stockage des blobs dans un bloc est actuellement de 0,75 Mo.
- Les blobs ont une durée de vie de 2 semaines et sont supprimés après ce délai pour éviter d’alourdir la chaîne principale.
- La limite de blobs par bloc est de 6 et l’objectif est de 3. Cette limite pourra augmenter au fil du temps.
Les impacts de Dencun sur les L2
Réduction des frais
La mise à jour Dencun a eu un effet immédiat sur les frais des L2, qui ont été divisés par un facteur de 100 à 200. Ainsi, ils sont passés d’environ 1 dollar en moyenne à moins de 0,01 dollar pour certains réseaux de seconde couche.

Pour Vitalik Buterin, le fondateur d'Ethereum, cette réduction des frais était une étape indispensable pour l'adoption de l'écosystème Ethereum, afin de proposer une infrastructure abordable pour les utilisateurs tout en restant très rentable pour les séquenceurs des L2.
À court terme, cette baisse drastique du coût d’utilisation des L2, couplée à la narrative des airdrops et à l’essor des inscriptions (un phénomène en vogue à cette époque), a déclenché une hausse soudaine d’activité. La demande pour les trois premiers blobs a été énorme avant de rapidement redescendre.
Cependant, il faut noter une chose : la limite des trois blobs a parfaitement fonctionné et n’a pas été dépassée, ce qui n’est absolument pas un hasard.

Le modèle des blobs fonctionne
Pour comprendre les raisons de ce succès, il est important de rappeler que les L2 fonctionnent actuellement avec un séquenceur centralisé. Autrement dit, ils ont la possibilité de gérer certaines actions eux-mêmes pour optimiser leurs dépenses et leurs revenus.
Ainsi, lors de la hausse soudaine d’activité après l’introduction des blobs, les L2 ont choisi de reporter le “batching”, une activité consistant à regrouper et envoyer leurs données de transactions au réseau principal Ethereum. Ce “batching” inclut l’ensemble de l’activité du L2 sur une certaine période, représentant à la fois la disponibilité des données et leur sécurité.
De manière générale, c’est au moment où le séquenceur réalise le “batching” que les transactions sont finalisées et sécurisées, puisqu’elles sont enregistrées sur Ethereum. Il est donc crucial pour les utilisateurs et les applications décentralisées que cet événement se produise rapidement.
Les L2 optimisent le système de blobs
Une question légitime se pose : pourquoi les L2 reporteraient-ils le “batching” si celui-ci est si important ? La réponse est simple : pour maintenir des coûts faibles en ne dépassant pas la limite de 3 blobs par bloc.
L’une des principales motivations est de réduire les dépenses des séquenceurs, mais ce n’est pas la seule raison. Dans la majorité des cas, les revenus reviennent à la fondation (gérée par la DAO), et les L2 souhaitent également rester compétitifs en proposant les frais les plus bas aux utilisateurs.
Effectivement, le coût du “batching” des données sur les blobs est directement répercuté sur les utilisateurs. Si le séquenceur ne l’optimise pas correctement, les utilisateurs du L2 devront payer plus cher, ce qui pourrait nuire à l’attractivité du réseau.
Pour certains, ce mécanisme est critiqué et remet en question l’alignement des L2 avec Ethereum. Depuis l’implémentation de Dencun et l’optimisation des frais par les séquenceurs, les revenus générés par Ethereum ont considérablement diminué. L’idée que l’Ether puisse redevenir déflationniste grâce au burn des frais de blobs a même été remise en cause.
Le bilan 8 mois après Dencun
La stratégie semble fonctionner
La mise à jour Dencun s'inscrit dans une stratégie de "Loss leader", visant à proposer de l’espace de blobs à perte pour concurrencer les projets spécialisés dans la "data availability" (notamment Celestia). L’objectif était d’offrir une disponibilité des données à faible coût, tout en garantissant une sécurité robuste.
Pour l’instant, la stratégie d’Ethereum semble porter ses fruits. Alors qu’au moment du lancement de Dencun, Ethereum comptait seulement une dizaine de L2, il en existe désormais plus d’une cinquantaine qui utilisent quotidiennement les blobs pour inscrire leurs données de transactions.
Bien que tous ces L2 n’aient pas autant de succès que Base ou Arbitrum, et qu’ils consomment peu d’espace de blobs par bloc, leur multiplicité crée néanmoins une rareté suffisante.

Depuis la fin mars 2024, la demande en blobs affiche une croissance organique. Ce phénomène se renforce avec chaque nouvelle création de L2, comme Unichain, Ink ou Worldchain.
Il est également important de noter que des réseaux comme Taiko, une rollup basée sur Ethereum, génèrent une forte demande d’espace de blobs pour fonctionner.
La target va-t-elle tenir longtemps ?
Récemment, pour la première fois depuis l’introduction de Dencun, les L2 ont été contraints de consommer plus de 3 blobs par bloc. Ce dépassement a évidemment entraîné une augmentation des coûts de transaction. Mais pourquoi les L2 n’ont-ils pas continué à reporter leurs activités, comme en mars 2024 ?

La réponse est simple : les L2 ne peuvent pas reporter indéfiniment le postage des données de leurs transactions sur Ethereum. Comme mentionné précédemment, cela mettrait en danger la sécurité des utilisateurs. Par ailleurs, puisque les données sont publiques, les utilisateurs pourraient s’en rendre compte, ce qui provoquerait leur mécontentement.
Autrement dit, et c'était également l’objectif de cette mise à jour, lorsqu’il existe une demande organique pour de l’espace de blobs, le dépassement de la target est inévitable. À noter que la Superchain d’Optimism, qui regroupe la majorité des L2 aujourd’hui, impose à ses L2 de poster sur le L1 dans un délai maximum de 12 heures.
Toujours est-il que ce dépassement de la limite des 3 blobs par bloc s’est traduit par une hausse des frais de transaction, atteignant un niveau que l’on n’avait plus vu depuis la mise à jour Dencun. Cela a réactivé le mécanisme de burn d’Ether, bien que de manière encore peu significative.
Que va-t-il se passer à l’avenir ?
Comme évoqué précédemment, Ethereum vise à maintenir les frais des L2 aussi bas que possible. En conséquence, la communauté Ethereum devrait probablement voter pour augmenter la target à 4 blobs afin de laisser un peu plus de marge aux L2.
Par la suite, lorsque les L2 utiliseront ce surplus, les développeurs introduiront de nouveaux blobs pour atteindre une limite de 8, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre la limite maximale de 16 blobs.
Pour mieux comprendre, imaginez un port. Si celui-ci dispose de trop peu de places pour un grand nombre de bateaux, le coût de location d’une place sera très élevé. À l’inverse, s’il y a trop de places pour trop peu de bateaux, ces places ne vaudront rien tout en coûtant cher à entretenir. L’objectif est donc de trouver un équilibre entre l’offre et la demande, en augmentant progressivement le nombre de places en fonction des besoins.
Ethereum continuera d’osciller entre rentabilité et non-rentabilité sur les blobs, adoptant une stratégie d’augmentation progressive de leur limite en fonction de la demande, jusqu’à atteindre les 128 blobs prévus dans la roadmap. On estime qu’à ce stade, Ethereum redeviendra rentable grâce à l’utilisation des L2.
Un simulateur permet de tester ce scénario rapidement :
Avec 100 L2 réalisant une moyenne de 24 TPS et 64 blobs (soit la moitié de la roadmap), Ethereum deviendrait déjà déflationniste, sans même inclure l’activité du L1 qui reste stable aujourd’hui.
Conclusion
Malgré les doutes récents sur l’activité des Layer 2 et la concurrence sur la disponibilité des données, les blobs d’Ethereum montrent de solides signes de réussite. Il semble que les incitations à créer des Layer 2 utilisant les blobs soient suffisamment fortes pour qu’un écosystème entier commence à s'y greffer.
La mise à jour Dencun n’a encore que 8 mois, il est donc trop tôt pour en juger pleinement le succès. Cependant, la tendance actuelle montre que la roadmap est en bonne voie. Ce développement prendra du temps, nécessitera de nombreuses innovations et davantage de blobs, mais progressivement, l’espace des blobs pourrait devenir une ressource rare, attirant une demande croissante.