La thèse du “Memecoin Supercycle” : pourquoi faut-il s'y intéresser ?

15 novembre 2024

La thèse du “Memecoin Supercycle” : pourquoi faut-il s'y intéresser ?

Les memecoins sont passés de plaisanterie à phénomène culturel au sein du marché des cryptomonnaies. Dans cet article, nous explorons les raisons du succès des memecoins, la fameuse thèse du « supercycle des memecoins » et ses implications pour l'écosystème, en se demandant s'il s'agit d'une tendance durable ou d'une bulle spéculative.

À propos des memecoins

Les memecoins ont une place totalement à part dans l’écosystème des cryptomonnaies. Ce qui avait démarré comme une blague en 2013 avec le Dogecoin (DOGE) — et une manière de se moquer des projets se prenant trop au sérieux — est désormais un phénomène de marché incontournable.

Les memecoins incarnent l’essence de la culture d’Internet. À une ère où la majorité de la population passe des heures par jour en ligne, les memes deviennent de véritables marqueurs culturels. Si leur succès est aussi fort, il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas dans notre écosystème.

Depuis plusieurs mois, les memecoins se sont imposés comme la catégorie d’actifs dominante, éclipsant des secteurs d’innovations technologiques du “Web3” censés être les prochaines tendances de demain. Ce phénomène a conduit à l’émergence d’une thèse : le “Memecoin Supercycle”.

Mais qu’entend-on réellement par ce terme ? Est-ce une lubie ou y a-t-il des arguments concrets qui soutiennent cette thèse ? Est-ce que l’explosion des memecoins est une tendance durable ou une simple bulle spéculative ?


Contexte sur le marché des cryptos

Depuis le début de l’année 2024, le cours du Bitcoin (BTC) affiche une performance de 120,8 %. L’approbation des ETF Bitcoin spot en janvier a été le catalyseur d’une reprise haussière de l’ensemble du marché, permettant à Bitcoin de retrouver ses anciens records historiques de prix (aux alentours de 69 000 dollars).

Néanmoins, le marché n’était pas prêt à partir aussi fort, aussi tôt. Le halving n’était pas encore passé, les élections américaines étaient encore loin devant et le contexte macroéconomique n’était pas encore favorable. Ainsi, Bitcoin est entré en phase de latéralisation jusqu’à fin octobre (entre 70 000 dollars et 50 000 dollars), laissant au passage les altcoins dégringoler dans un bain de sang.

Pourtant, si l’on regarde les performances des 100 principales cryptomonnaies actuellement (à date du 15 novembre), certaines ont tout de même réussi à faire mieux que Bitcoin. Voici la liste des actifs ayant surperformé Bitcoin depuis le début de l’année 2024.

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Parmi ces 22 cryptomonnaies, exactement 50 % sont des memecoins. Le DOGE, évidemment, mais également SHIBA, PEPE, WIF, BONK, FLOKI ou encore POPCAT. Ces memecoins ont affiché des performances haussières délirantes. Au-delà d’avoir fait mieux que Bitcoin, elles ont fait mieux que les “utility coins”, les cryptomonnaies dont le but est d’apporter une vraie solution technologique.

Par ailleurs, on constate également que certaines cryptomonnaies ont aussi bénéficié de la tendance des memecoins : Raydium (RAY) est un exchange décentralisé sur Solana particulièrement utilisé pour le trading de memecoins, tout comme Aerodrome (AERO) sur Base.


La thèse du “Memecoin Supercycle”

La thèse du “Memecoin Supercycle” a été popularisée par Murad Mahmudov (@MustStopMurad sur X), un ancien bitcoiner et entrepreneur reconverti en influenceur. À l’occasion de la conférence Token2049 à Singapour, Murad a réalisé une keynote dans laquelle il donne sa vision de l’écosystème et explique les raisons qui le poussent à croire à un supercycle des memecoins.

Le marché n’est plus le même qu’en 2021

Pour commencer, Murad explique que le marché des cryptomonnaies a énormément changé depuis le précédent cycle haussier de 2020 et 2021. D’après lui, le nombre de projets de cryptomonnaies s’est tellement multiplié qu’il est impossible d’envisager que le prochain cycle sera similaire aux précédents, où toutes les cryptomonnaies grimpaient presque unilatéralement.

Si l’on revient en 2021, il existait effectivement très peu de blockchains et la majorité de la finance décentralisée (DeFi) se développait sur Ethereum. Des concurrents commençaient à émerger (BNB Chain, Avalanche, Fantom ou encore Solana) et les solutions de layer 2 étaient presque inexistantes (Polygon, Arbitrum et Optimism uniquement).

C’est également à cette époque que le terme “Web3” a été créé, ouvrant la voie à de nombreux domaines dans lesquels la blockchain était censée révolutionner l’activité. Que cela soit le Gaming, le Cloud décentralisé, l’Intelligence Artificielle ou encore les DePIN, il aura fallu attendre plusieurs années pour que ces secteurs donnent naissance aux dizaines de projets que nous connaissons aujourd’hui.

Tout cela pour dire que le nombre de projets cryptos existants en 2024 a été décuplé par rapport à 2021. Pourtant, la liquidité disponible sur le marché n’est pas extensible et la situation actuelle est telle qu’il y a beaucoup plus d’offres (nombre de projets cryptos) que de demande (capitaux disponibles chez les investisseurs).

Quelques informations importantes à retenir :

  • Le marché a énormément changé entre 2021 et 2024. Désormais, il y a beaucoup plus d’offres (le nombre de cryptomonnaies) que de demande (les capitaux des investisseurs).
  • Toutes les catégories de cryptomonnaies ne pourront pas bénéficier du cycle haussier, puisque les liquidités iront là où l’attention des investisseurs se portera.
  • Pour le moment, les memecoins ont prouvé qu’ils étaient le centre d’attention privilégié des investisseurs et qu’ils répondaient à cette problématique.

Le problème du “High FDV, Low Float”

Aujourd’hui, les principaux projets en tendance dans l’écosystème le sont parce qu’ils ont réalisé des tours de financement privés énormes, leur permettant de lever des dizaines (voire des centaines) de millions de dollars. Néanmoins, derrière des promesses d’innovation technologique alléchantes, on constate souvent que l’adoption peine à suivre et qu’il s’agit plutôt d’une façade de marketing.

Mais pour Murad, le problème est encore plus profond. Les tokenomics de ces projets sont toujours à l’avantage des investisseurs privés, de l’équipe ou des influenceurs partenaires, au détriment de la communauté et du retail (les investisseurs particuliers). Lorsque le token est lancé, ces derniers le touchent à un prix bien trop élevé et finissent souvent par être perdants.

Par ailleurs, les projets sont dans l’obligation de se lancer avec une Fully Diluted Value (FDV) énorme, pour contenter les investisseurs privés. Toutefois, ils n’émettent qu’une petite partie des tokens (souvent entre 10 et 25 %) pour conserver une capitalisation de marché normale. En contrepartie, l’émission de tokens sur les premières années est énorme, ce qui limite la progression sur le marché.

Ce phénomène a été parfaitement expliqué par Cobie, un pionnier de l’écosystème, dans une publication sur son blog où il présente les problématiques associées à ce schéma qu’il appelle “Low Float, High FDV” (autrement dit, petite quantité de tokens en circulation, grosse valorisation totale).

Quelques informations importantes à retenir :

  • La majorité des projets de cryptomonnaies en tendance sont beaucoup trop capitalisés au lancement, laissant peu d’opportunités de hausse pour les investisseurs particuliers.
  • Leurs tokenomics sont orientées vers les investisseurs privés, la valorisation totale (FDV) est énorme et seule une petite partie des tokens est en circulation.
  • Au contraire, les memecoins ont l’avantage d’avoir la totalité de leurs tokens en circulation et n’ont pas de problèmes d’émission de tokens.
  • Finalement, l’action de prix des memecoins est plus saine, car il n’y a pas d’investisseurs privés entrés à bas prix pour vendre sur les investisseurs particuliers.

Toutes les cryptos sont des memecoins

L’une des idées les plus provocatrices de Murad est que, fondamentalement, toutes les cryptomonnaies sont des memecoins. D’après lui, les investisseurs ne sont pas réellement là pour la révolution technologique, mais plutôt pour ces trois raisons : “70 % veulent gagner de l’argent, 20 % veulent s’amuser et 10 % veulent appartenir à une communauté”.

Il explique également que chaque cryptomonnaie se développe autour d’une idée ou d’un concept lui permettant de fédérer une communauté. Que cela soit une innovation technologique ou simplement une image de grenouille verte, l’idée est la même : la communauté suit parce qu’elle est captivée par l’idée.

Les memecoins sont intrinsèquement les cryptomonnaies qui ont la meilleure capacité à fédérer une communauté. Par essence, ils représentent la culture d’Internet, un monde où des gens se réunissent naturellement autour de choses parfois inexplicables. Les memecoins sont de véritables symboles d’appartenance à une communauté.

Quelques informations importantes à retenir :

  • Le but d’un projet de cryptomonnaies est de fédérer une communauté autour d’une idée. Que cela soit un cas d’usage technologique ou une blague virale, le résultat est le même. En ce sens, Murad pense que chaque crypto est un memecoin.
  • Puisque le moteur du succès d’une cryptomonnaie est la communauté, les memecoins ont la meilleure chance de réussir. Intrinsèquement, ils fonctionnent grâce à la force de leur communauté.

Pour aller plus loin sur le sujet de la thèse du supercycle des memecoins, nous vous invitons vivement à consulter cette excellente interview réalisée par CryptoPicsou (co-fondateur du média Coinacademy) dans laquelle il reçoit justement Murad Mahmudov.


Les memecoins sont-ils la seule voie ?

La thèse du “memecoin supercycle” est en réalité une manière extrêmement intéressante et pertinente de se questionner sur l’état actuel du marché des cryptomonnaies. Les problématiques mises en avant par Murad Mahmudov sont tout à fait légitimes et doivent être réglées si l’industrie veut évoluer dans la meilleure direction.

Néanmoins, est-ce que cela doit nécessairement passer par un supercycle des memecoins ? Qu’est-ce que cela peut apporter à l’écosystème, à part une amplification du phénomène de spéculation ? Ou alors, le supercycle des memecoins serait-il simplement une phase transitoire d’un écosystème en pleine maturation ?

Le coût de l'engouement pour les memecoins

Le secteur des memecoins est encore marqué par une volatilité accrue, dans un marché qui l’est déjà tout particulièrement. Si les promesses de gains sont énormes, les chances d’y arriver sont inversement proportionnelles.

Selon des données récentes de Pump.fun, environ 65 % des traders perdent de l’argent sur la plateforme, tandis que seulement 3 % d’entre eux parviennent à empocher des gains significatifs. De surcroît, seuls 0,0028 % des portefeuilles ont réalisé des gains supérieurs à un million de dollars.

Cela soulève une critique fondamentale : pour chaque investisseur qui atteint la lune, des milliers servent d’exit liquidity, alimentant un cycle où la majorité des participants subissent des pertes. Ce phénomène n’est pas inédit dans les marchés spéculatifs, mais il met en lumière le caractère hautement aléatoire des profits associés aux memecoins.

Un rejet des “VC-tokens”, mais à quel prix ?

L’idée fondamentale qui motive le succès des memecoins est souvent celle de vouloir aller à l’encontre des projets de cryptomonnaies soutenus par des investisseurs privés (les VC-tokens) et qui ne récompensent pas assez leurs communautés.

Cependant, est-ce une raison suffisante pour abandonner l’ensemble des projets proposant de réelles innovations technologiques au profit des memecoins ? Effectivement, les échecs des dernières années sont durs, mais ils nous ont permis de mieux comprendre comment nous pouvons construire un écosystème meilleur et plus solide sur le long terme.

Par ailleurs, un supercycle des memecoins pourrait démontrer que l’industrie des cryptomonnaies ne répond finalement qu’à un besoin de spéculation et de gambling, bien loin des objectifs initiaux de révolutionner les systèmes financiers ou de donner du pouvoir aux individus.

NDLR : À ce point, Murad explique dans son interview auprès de CryptoPicsou que justement, les memecoins sont la meilleure manière de réaliser une transmission de valeur des portefeuilles “riches” vers la jeune génération, pour qui l’accès à la liberté financière sera de plus en plus difficile à l’avenir.

Toujours est-il que cet écart entre l’idéal des cryptomonnaies et la réalité du succès des memecoins pourrait limiter le développement sur le long terme de cette industrie, en donnant raison aux détracteurs qui la qualifient de casino à ciel ouvert.