10 février 2025
Le modèle de tokenomics ve(3,3) a longtemps été perçu comme l'avenir pour les protocoles de DeFi. Découvrons ensemble les principes fondamentaux des tokens ve(3,3).
Le modèle ve(3,3) est un système de tokenomics introduit en janvier 2021 par Andre Cronje, l’un des pionniers de la finance décentralisée (DeFi). Il repose sur une fusion entre le système de Vote Escrow (ve) popularisé par Curve Finance et la théorie du (3,3) issue d’OlympusDAO. Ce modèle a été mis en place pour la première fois par Andre Cronje sur le protocole Solidly, un exchange décentralisé qu’il a développé sur la blockchain Fantom.
Bien que Solidly ait connu un échec rapide après l’annonce du retrait de son fondateur de l’écosystème des cryptomonnaies, en 2022, le modèle ve(3,3) a influencé de nombreux autres protocoles de DeFi. Aujourd’hui, il a été implémenté sous différentes variantes et continue d’être adopté et amélioré par divers projets.
Pourquoi ce modèle de tokenomics a-t-il longtemps été perçu comme révolutionnaire ? Quels sont les projets qui continuent de l’adopter ? Quels sont ses avantages et ses limites ? Dans cette analyse, nous vous proposons d’explorer en profondeur les principes fondamentaux du ve(3,3) et son impact sur l’écosystème DeFi.
Avant de rentrer dans le détail du modèle ve(3,3), il est important de poser les bases et de comprendre le fonctionnement des deux systèmes qui l’ont inspiré, à commencer par le Vote Escrow de Curve Finance.
L’une des particularités de Curve est la compétitivité qui pousse les participants à essayer d’acquérir un maximum de droits de vote. Effectivement, cela permet d’influencer la direction des émissions de CRV, notamment en déterminant quel pool de liquidités reçoit la plus grande part de tokens.
L’idée finale est que lorsque les émissions de CRV sont redirigées vers un pool de liquidités spécifique, les fournisseurs de liquidités (LPs) sont récompensés par des rendements plus élevés. Cela incite les LPs à affluer vers les pools sélectionnés, ce qui augmente encore la liquidité.
Le système de Vote Escrow a donné naissance au veCRV, un token reçu par les utilisateurs lorsqu’ils bloquent volontairement leurs CRV durant une période déterminée. Plus celle-ci est importante, plus ils perçoivent des droits de vote et des récompenses élevés. Encore une fois, ce système a été spécialement conçu pour inciter les participants à s'engager dans des périodes de temps importantes.
Ce schéma a été à l’origine de la célèbre “Curve War”, où de nombreux protocoles se sont construits sur Curve et ont offerts des rendements de plus en plus élevés à leurs utilisateurs afin de se voir octroyer leurs veCRV, pouvant ainsi voter pour leur propre pool de liquidité et recevoir une plus grande émission de CRV.
Maintenant, il est important de se pencher sur le second système qui a inspiré le modèle ve(3,3), à savoir le système de staking (3,3) du protocole Olympus DAO. En 2021, Olympus DAO était un des protocoles les plus en vogue en DeFi, à tel point qu’il a engendré une quantité indénombrable de fork appelés “fork OHM”.
Le modèle (3,3) d’Olympus DAO reposait sur la théorie des jeux et visait à donner une série de scénarios en fonction des actions des utilisateurs : bond, stake et sell. En regardant de plus près :
Maintenant que les bases sont posées, revenons sur le modèle ve(3,3). Celui-ci repose sur trois piliers principaux :
Les Vote-Escrowed Token (ou veToken) sont la principale caractéristique du système ve(3,3). Le principe est qu’un utilisateur peut verrouiller des tokens (que nous allons appeler TOKEN) pour recevoir en retour un veTOKEN. La quantité de veTOKEN perçue est proportionnelle à la durée de verrouillage de TOKEN. Ce système permet d’attribuer un poids plus important aux utilisateurs qui s’engagent sur le long terme.
Prenons l’exemple du protocole Aerodrome, un DEX sur la blockchain Base. Celui-ci adopte également un modèle de Vote-Escrowed qui favorise une durée de blocage plus longue. Le multiplicateur utilisée dépend du temps, qui est limité à un maximum de 4 années de lock :
Ainsi, plus un utilisateur détient des veAERO, plus son pouvoir de vote est important, favorisant le long terme au sein du système. Évidemment, à lui seul, le concept de bloquer des tokens ne suffit pas à attirer des personnes pour participer à la gouvernance.
Quand les tokens sont bloqués en veTOKEN, il est impossible de revenir en arrière tant que la période de blocage n'est pas terminée. Cependant, certains protocoles comme Shadow utilisent un modèle différent. Le SHADOW peut être bloqué en xSHADOW, et celui-ci peut être retransformé en SHADOW instantanément, mais la conversion ne se fait pas à un ratio de 1:1.
Pour attirer les utilisateurs et inciter à bloquer leurs tokens, les protocoles mettent souvent en place des émissions de leur propre tokens qu'ils distribuent aux détenteurs de veTOKEN. Cela rappelle évidement l’époque de la Curve War et s’inscrit dans le cadre du modèle ve(3,3). Voici les trois principaux avantages offerts par ces protocoles :
Le système de verrouillage des tokens sur le long terme, propre au modèle ve(3,3), est particulièrement renforcé par le revshare. Dans le cas d’Aerodrome, plus l’utilisateur verrouille des AERO sur une longue période, plus la quantité de veAERO perçue sera importante, donc le revshare également.
Pour être plus précis, dans le cas de Pendle, les détenteurs de veTOKEN ont la possibilité de choisir des stratégies spécifiques par le biais desquelles ils toucheront les frais issus de ces positions. Lors de la période de hype du restaking, certains utilisateurs ont maximisé leurs gains en incentivant les pools des protocoles de liquid restaking.
Dans le cas de Spectra, voici un exemple de position qui permet de percevoir jusqu'à 39,41 % d'APY grâce aux mécanismes de veBOOST.
Comme vu précédemment, le modèle ve(3,3) repose fortement sur des incitations économiques afin d'attirer les acteurs à bloquer leurs tokens sur le long terme. Que cela soit sous la forme du staking (rendement de base) ou du boost des rendements (veBOOST), ces mécanismes nécessitent des émissions de tokens afin d'être alimentés.
Ainsi, l’un des principaux problèmes liés aux tokens reposant sur un modèle ve(3,3) est leur inflation potentiellement excessive.
Prenons par exemple le token AERO de la plateforme Aerodrome, dont nous avons déjà parlé plus haut dans cet article. Le mécanisme d’inflation d’AERO repose sur 3 phases :
Phase 1 : Take-off
Phase 2 : Cruise
Phase 3 : Aero Fed
De cette manière, lorsque le protocole est stabilisé et suffisamment ancré au sein de l’écosystème, la gouvernance communautaire prend le relais via le système Aero Fed. Les détenteurs de veAERO (les tokens bloqués) ont le pouvoir de réguler l’émission de nouveaux tokens.
L’objectif est d’assurer une gestion dynamique et adaptée à la demande du marché :
Ce mécanisme assure une adaptabilité maximale et permet aux acteurs engagés de piloter la politique monétaire du protocole.
Prenons maintenant le cas de Pendle, pour lequel la situation est plutôt similaire. Au début, le protocole avait une énorme inflation afin d'attirer les Liquidity Providers (LPs), pour ensuite stabiliser et réduire l'inflation afin de permettre au token de ne pas diluer sa valeur.
Depuis septembre 2024, l’émission de PENDLE a été fixée à 216 000 nouveaux tokens chaque semaine. Cette émission est ensuite réduite de 1,1 % chaque semaine jusqu'en avril 2026 pour atteindre environ 2 % d'inflation stable chaque année.
À première vue, il serait normal de penser que cette inflation est énorme. Néanmoins, voici un calcul intéressant : le nombre total de tokens PENDLE projeté en avril 2026, avec une émission hebdomadaire initiale de 216 076 tokens réduite de 1,1 % chaque semaine, serait d'environ 265 901 491 tokens. Cela représente une inflation de 4,46 % sur 19 mois, ce qui équivaut à une inflation moyenne de 2,82 % par an.
Les tokens aux modèles ve(3,3) sont donc sujets à une forte inflation à leurs débuts, ce qui peut diluer leur potentielle prise de valeur. Évidemment, chaque protocole a son propre mécanisme d'inflation, et Pendle et Aerodrome sont simplement deux exemples qui ne garantissent pas une vérité applicable sur d'autres projets.
Le modèle ve(3,3) donne un pouvoir de gouvernance proportionnel aux veTokens détenus par l’utilisateur. Cela signifie que les acteurs les plus riches contrôlent les décisions clés du protocole : c’est ce qu’on appelle une gouvernance “ploutocratique”.
Ploutocratie : un système où le pouvoir est directement lié à la richesse et non à la contribution ou aux compétences réelles.
Avec ce genre de modèle ve(3,3), les protocoles et leur gouvernance prennent donc une forme de ploutocratie, puisqu’il suffit de détenir une énorme quantité de tokens pour influencer drastiquement la gouvernance du protocole et notamment des décisions importantes telles que les émissions de tokens (et qui les perçoit).
Pour lutter face à ce genre de situation, le temps fait perdre en valeur le pouvoir de vote des acteurs, mais cela ne change en rien les inégalités entre acteurs ayant verrouillé leurs tokens à un certain moment.
Le modèle ve(3,3) a marqué un tournant dans la finance décentralisée (DeFi), comme beaucoup d’autres initiatives portées par Andre Cronje. Il offre des avantages significatifs, notamment pour aligner les intérêts des utilisateurs au protocole, pour réduire la volatilité des tokens grâce au verrouillage ou pour distribuer des récompenses aux contributeurs du protocoles (détenteurs de veTokens).
D’une certaine manière, ils favorisent un engagement sur le long terme des utilisateurs et des détenteurs de tokens. Néanmoins, ils présentent également des risques majeurs. L’inflation initiale est souvent élevée, puisqu’elle est conçue pour attirer rapidement de la liquidité, et peut faire peser des risques sur le price action du token. Par ailleurs, la gouvernance “ploutocratique” entraîne une forme de centralisation des décisions entre les plus gros détenteurs de veTokens.
Au fil du temps, plusieurs projets ont tenté d'adopter et d'optimiser ce modèle. Certains ont prospéré, tandis que d'autres, comme Solidly, se sont rapidement effondrés. Cela met en lumière les risques et les complexités liés à la mise en place du modèle ve(3,3).
Le modèle ve(3,3) continue d’évoluer, et son adoption croissante montre qu’il reste une expérimentation intéressnte dans la quête de modèles économiques durables pour la DeFi.