Le fee switch : le game changer tant attendu pour la DeFi ?
31 mars 2025

Dans cet article
Le fee switch est attendu comme la prochaine narrative des cryptos, celle qui alignerait enfin la valeur économique des protocoles de DeFi avec celle de leurs tokens sur le marché. Découvrez le fee switch dans cette analyse.
Qu’est-ce que le fee switch ?
Le fee switch désigne un mécanisme par lequel un protocole de finance décentralisée (DeFi) partage une partie de ses revenus — généralement issus des frais de transaction ou d’autres activités — avec les détenteurs de son token natif. Concrètement, cela permet aux utilisateurs participant au staking ou à la gouvernance de percevoir un rendement financier proportionnel aux performances économiques du protocole.
Aujourd’hui, la majorité des tokens dans la DeFi ont un rôle essentiellement axé sur la gouvernance. Bien que cela soit essentiel pour assurer une véritable décentralisation, cela n’offre aucune valeur économique tangible pour les détenteurs. Le fee switch pourrait répondre à cette lacune, en transformant ces tokens en actifs générateurs de rendement.
Malgré l’intérêt croissant pour ce concept, il n’a pas encore été largement adopté. La raison principale réside dans les incertitudes réglementaires, en particulier aux États-Unis. Cependant, avec l’élection de Donald Trump et la promesse d’un environnement réglementaire plus favorable à l’innovation crypto, le débat autour du fee switch pourrait prendre une nouvelle tournure.
Pourquoi le fee switch est-il un game changer ?
Le fee switch représente un levier majeur pour les protocoles DeFi, car il permettrait de résoudre un problème fondamental : l’absence de valeur intrinsèque des tokens utilitaires. Ces derniers, souvent limités à des rôles de gouvernance ou d’accès aux services du protocole, n’offrent aucun intérêt financier direct aux investisseurs.
Avec le fee switch, les protocoles pourraient inciter les utilisateurs à conserver leurs tokens sur le long terme, en les associant directement au succès du protocole. Cela permettrait également de réduire la dépendance envers les modèles inflationnistes, où de nouveaux tokens sont émis en continu pour récompenser les participants.
Par ailleurs, cela renforcerait l’alignement entre la valorisation des tokens et la performance économique, l’utilité et la valeur réelle des protocoles. Les investisseurs auraient enfin une raison concrète de détenir ces actifs avec une vision à long terme.
Pourquoi parle-t-on à nouveau du fee switch ?
Un marché freiné par la régulation
Le principal obstacle à l’adoption du fee switch par les protocoles de DeFi reste le contexte réglementaire. Au cours des deux dernières années, la Securities and Exchange Commission (SEC) — l’une des entités chargées de la régulation des marchés financiers aux États-Unis — a multiplié les attaques envers l’industrie des cryptomonnaies, qualifiant de nombreux tokens comme des securities.
D’après la SEC, un token offrant un rendement régulier aux utilisateurs, notamment basé sur les revenus générés par le protocole, est considéré comme un security token. Ainsi, l’implémentation du fee switch sur un protocole de DeFi entraînerait la qualification de son token en tant que security. De ce fait, il serait soumis à des obligations réglementaires strictes, ce qui n’est pas souhaitable.
Dans le cas d’Uniswap, la proposition de l’activation du fee switch a été refusée à trois reprises par la communauté. En particulier, les portefeuilles des entités qui dominent la gouvernance (a16z, Hayden, etc.) ont forcé pour que la proposition soit refusée, insistant sur les risques réglementaires.
L’élection de Donald Trump
Le sujet du fee switch est revenu au cœur des discussions après l’élection de Donald Trump. Celui-ci a affiché une position favorable aux cryptomonnaies durant sa campagne, promettant une régulation plus claire et moins hostile. Le premier changement majeur a déjà été amorcé, avec la destitution de Gary Gensler, président de la SEC et considéré comme le responsable de l’acharnement du régulateur envers l’industrie.
D’autres initiatives proposées par Donald Trump, comme le transfert de certaines responsabilités réglementaires à la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), pourraient également changer la donne. Une partie des cryptomonnaies serait alors considérée comme des commodities (marchandises), échappant ainsi à la classification de security et aux restrictions associées.
Uniswap : le fee switch le plus attendu
Les enjeux du fee switch pour Uniswap
Uniswap est reconnu comme l’un des piliers de la DeFi, avec plus de 7,5 milliards de dollars de Total Value Locked (TVL) et une moyenne de 3 milliards de dollars de volume de transactions hebdomadaire (à la date de rédaction de cette analyse, le 27 novembre 2024).
Actuellement, le UNI de Uniswap est classé au 25e rang des cryptomonnaies les plus capitalisées, avec une valorisation d’environ 8 milliards de dollars. Malgré cela, il ne génère aucun rendement aux détenteurs et n’a aucune autre utilité que la participation à la gouvernance du protocole.
Cependant, la participation des détenteurs à cette gouvernance est notoirement faible. Parmi les 30 plus grands délégués en termes de pouvoir de vote, 14 n’ont participé à aucune des 10 dernières propositions, et seuls 7 ont créé une proposition.
Ainsi, au cours des deux dernières années, Uniswap a tenté à de nombreuses reprises de mettre en place un mécanisme de fee switch via des propositions de gouvernance. L’idée était de favoriser la participation des utilisateurs à la gouvernance en distribuant une partie des frais du protocole aux stakers qui délèguent leurs tokens. Néanmoins, ces différentes propositions ont systématiquement été refusées par la communauté, pour les raisons évoquées précédemment.
L’impact du fee switch pour les détenteurs de UNI
Vous l’avez compris, l’évolution du contexte réglementaire aux États-Unis pourrait amener Uniswap à reconsidérer son positionnement au sujet du fee switch. Dans ce cas, imaginons ensemble comment cela pourrait impacter les détenteurs de tokens UNI.
Actuellement, Uniswap prélève 0,3 % de frais sur chaque transaction réalisée sur le protocole. Ces frais sont redistribués intégralement aux fournisseurs de liquidité des pools correspondants. En octobre 2023, Uniswap Labs a introduit une commission de 0,15 % sur certains échanges via son interface, mais cette mesure reste limitée à leur application web et ne s’applique pas directement au calcul des revenus générés pour le protocole.

Si le fee switch était activé, une partie des frais redistribués aux fournisseurs de liquidité serait allouée aux détenteurs de UNI participant au staking. Prenons comme hypothèse une allocation de 20 % des frais collectés, soit l’option ayant recueilli le plus de soutien lors des discussions communautaires.
Depuis le début de l’année 2024, Uniswap a généré environ 881 millions de dollars de frais. Avec un fee switch à 20 %, cela représenterait 176,2 millions de dollars redistribués aux stakers. Si l’on extrapole cette tendance jusqu’à la fin de l’année, le montant annuel atteindrait 195 millions de dollars.
Actuellement, environ 30 % des tokens UNI en circulation sont placés en staking, soit 203 millions de tokens. À un prix moyen de 13,3 dollars par UNI, cela représente une base totale de staking d’environ 2,69 milliards de dollars. Dans ce scénario, cela signifie que les stakers de UNI auraient bénéficié d’un rendement annualisé d’environ 6,5 % en 2024.
Les autres protocoles explorant le fee switch
Uniswap n’est pas le seul protocole de DeFi à envisager l’activation du fee switch. Plusieurs autres acteurs majeurs ou émergents de l’écosystème considèrent ce mécanisme comme un moyen de transformer leurs tokens en générateurs de revenus, afin de construire une incentive long terme pour les détenteurs.

Aave (AAVE)
Aave est l’un des plus grands protocoles de prêts et d’emprunts décentralisés. En juillet 2024, Marc Zeller a publié une proposition de gouvernance dans laquelle il questionne notamment la communauté au sujet de l’activation du fee switch sur Aave.
Plus précisément, ce mécanisme inclurait un programme “buy & distribute”, où une partie des revenus générés par les frais du protocole servirait à racheter des tokens AAVE sur le marché secondaire afin de les redistribuer aux stakers.
Si le fee switch était activé, il pourrait offrir un rendement tangible aux détenteurs d’AAVE et aligner davantage leurs intérêts avec la croissance du protocole. Depuis le début de l’année 2024, Aave a généré 350 millions de dollars.
Ainsi, en considérant le montant actuel de tokens AAVE en staking (soit 607 millions de dollars) et une redistribution de 20 % (soit 77 millions de dollars), alors le rendement annualisé pour les stakers serait de 12 % environ.
Lido Finance (LDO)
Lido Finance, le principal protocole de liquid staking de l’écosystème, a également envisagé d’introduire un mécanisme de redistribution des revenus issus des frais de staking par le biais d’une proposition de gouvernance publiée en mai 2024. Avec plus de 15 milliards de dollars stakés en ETH, Lido dispose de l’un des flux de revenus les plus stables dans l’écosystème.
La proposition visait à permettre aux utilisateurs de placer leurs tokens en staking afin de percevoir entre 20 et 50 % des revenus futurs du protocole distribués chaque semaine via un mécanisme de rachat. À noter une particularité : les tokens acquis via ce mécanisme seraient soumis à une période de vesting de six mois.
Depuis le début de l’année 2024, Lido Finance a généré 921 millions de dollars par le biais des frais. En considérant que le fee switch est activé, cela représenterait entre 200 et 500 millions de dollars dégagés à l’année pour récompenser les stakers.
Avec une capitalisation actuelle de 1,6 milliard de dollars et en considérant que 30 % des tokens en circulation sont placés en staking (soit 480 millions), cela signifierait que les stakers de LDO auraient perçu entre 41 % et 104 % de rendement annualisé sur leur position grâce à l’introduction du fee switch.
Ethena Labs (ENA)
Ethena Labs est un protocole connu pour son stablecoin algorithmique USDe, soutenu par des stratégies delta-neutres sur des contrats perpétuels et des tokens de staking liquide en Ether (ETH). Dans une proposition de gouvernance datant du 6 novembre 2024, Wintermute a soumis l’idée du fee switch, sous la forme d’une allocation des revenus générés par le protocole aux détenteurs du token de gouvernance staké sENA.
Ethena Labs génère des revenus annualisés d’environ 250 millions de dollars grâce à son stablecoin USDe, dont la capitalisation dépasse désormais 4 milliards de dollars. Dans le modèle actuel, 80 % des revenus sont distribués aux détenteurs d’USDe (pour un rendement de 12 %) et 20 % vont dans la trésorerie du protocole.
Bien que la proposition de Wintermute ne présente aucun chiffre, imaginons que le fee switch alloue une nouvelle fois 20 % des revenus aux détenteurs de sENA (et donc, 60 % aux détenteurs d’USDe et toujours 20 % à la trésorerie du protocole).
Cela entraînerait une légère baisse du rendement annualisé pour les détenteurs de stablecoin USDe à environ 9 %, mais offrirait en parallèle un APY de 7 % aux détenteurs de sENA. Ce modèle alignerait mieux le token ENA avec la croissance du protocole, tout en conservant l’attractivité de USDe.
Raydium (RAY)
Raydium est l’un des principaux exchanges décentralisés (DEX) sur Solana. Actuellement, Raydium adopte un mécanisme de frais similaire à celui d’Uniswap, où les fournisseurs de liquidités perçoivent 84 % des commissions pour chaque swap du pool, 4 % vont à la trésorerie et, petite particularité, 12 % sont alloués aux rachats de RAY.
Bien que cela puisse ressembler à un système de fee switch, ce n’en est pas réellement un puisque les revenus ne sont pas directement partagés avec les stakers. Aucune proposition n’a été effectuée sur la gouvernance de Raydium pour l’introduction d’un fee switch, mais les initiatives d’Uniswap pourraient légitimement les inciter à suivre le mouvement.
À la date de la rédaction de ces lignes, Raydium a généré 558 millions de dollars de fees en 2024. Cela est majoritairement dû au fait que c’est le DEX privilégié pour le trading de memecoins, une activité particulièrement en vogue sur Solana.
Dans le cas où 20 % des frais iraient dans la poche des stakers avec le fee switch et que 30 % des tokens RAY en circulation sont stakés, sachant que la capitalisation actuelle de Raydium est de 1,57 milliard de dollars, alors les rendements annualisés seraient de l’ordre de 26 %.
Une opportunité pour les protocoles sans tokens
De nombreux protocoles majeurs de l’écosystème n’ont actuellement pas (encore) de tokens. Qu’ils aient déjà évoqué l’idée d’en lancer un ou non, les raisons sont souvent les mêmes : le cadre réglementaire est trop flou et le token n’aurait aucune utilité réelle pour le protocole. Parmi eux : OpenSea, Pumpfun ou encore Polymarket.
- OpenSea est une marketplace pionnière dans le domaine des NFTs. Néanmoins, depuis la chute de l’intérêt des investisseurs pour ce secteur, OpenSea a connu une énorme baisse d’activité. Par ailleurs, le lancement des tokens de Blur et le succès de Magic Eden ont énormément dilué ses parts de marché.
À noter également qu’OpenSea a reçu à plusieurs reprises des notices de la part du régulateur américain, freinant le développement de leurs activités. Avec le potentiel assouplissement du cadre réglementaire aux États-Unis, OpenSea pourrait envisager le lancement d’un token et activer le fee switch, donnant ainsi un intérêt palpable aux investisseurs via une redistribution d’une partie des frais.
- Pumpfun est un protocole décentralisé, conçu sur la blockchain Solana (SOL), permettant de créer, lancer et trader des memecoins en toute simplicité. Depuis le lancement en mars 2024, Pumpfun a généré plus de 4 milliards de dollars de volume et 264 millions de dollars de frais.
En octobre 2024, Pumpfun a annoncé la volonté de lancer leur propre cryptomonnaie lors d’un live sur X, afin « de récompenser les premiers utilisateurs ». Néanmoins, les inquiétudes ont rapidement émergé : quel intérêt pour ce token ? Justement, l’activation du fee switch pourrait être une manière d’indexer les investisseurs aux performances du protocole.
- Polymarket est une plateforme de marché prédictif permettant aux traders de parier sur des évènements du quotidien. Le protocole a particulièrement explosé durant les élections présidentielles aux États-Unis, au point d’atteindre plus de 2,5 milliards de dollars de volume et 250 000 utilisateurs uniques en octobre.
La fin des élections américaines a évidemment été suivi d’une chute d’activité drastique sur Polymarket, soulevant la question des mécanismes à mettre en oeuvre pour continuer à attirer des utilisateurs. Le lancement d’un token a été évoqué et comme pour Pumpfun, la communauté a répondu : quel intérêt ? Puisque Polymarket encaisse 2 % des revenus des gagnants, avoir un mécanisme de partage des commission avec les holders serait une solution.
Conclusion
Depuis 2021 et la frénésie autour de la DeFi, les tokens de ces protocoles n’ont pas particulièrement recouvré leur attractivité. Pourtant, les métriques financières et on-chain sont particulièrement n’ont pas cessé de grimper au cours des derniers mois, que ce soit d’un point de vue de la TVL, du nombre d’utilisateurs ou des revenus générés.
En effet, le marché des cryptomonnaies est actuellement animé par des narratives ou des tendances, qui récupèrent la majorité des liquidités et de l’attention des investisseurs. Pour la plupart, elles sont totalement détachées des performances réelles des protocoles — en témoignent le succès des memecoins.
En ce sens, le fee switch pourrait être la prochaine narrative de l’écosystème des cryptos. Elle pourrait relancer le DeFi Summer en attirant de nouveau les investisseurs vers les actifs de cette catégorie sur le long terme. Mais surtout, elle alignerait enfin la valeur économique des protocoles de DeFi avec celle de leurs tokens sur le marché.