Les airdrops en 2025, la fin ou le renouveau ?
21 janvier 2025

L'année 2024 a été marquée par une série d'airdrops en cryptos, attendus ou non, convaincant ou non. Dans cette analyse, nous proposons un bilan financier des tokens des airdrops en 2024 et un état des lieux de cette activité pour se projeter sur 2025.
Avant propos : Cet article est en partie issu de notre rapport de fin d’année 2024 sur le marché des cryptomonnaies. Nous vous invitons à le consulter gratuitement ou à l’obtenir en version physique pour soutenir notre travail.
Préambule
Comme attendu, l'année 2024 a été marquée par des records dans le secteur des cryptomonnaies, que ce soit en termes de capitalisation, d'innovations technologiques ou d'adoption par les investisseurs. Cette dynamique a entraîné une explosion du nombre de projets dans l’écosystème, facilité également par l’émergence de plateformes de lancement de rollups ou de tokens en quelques clics.
Cependant, cette multiplication de projets a intensifié la compétition pour attirer l'attention des utilisateurs. Dans ce contexte, les airdrops constituent un véritable atout marketing. En 2024, la tendance des airdrops s’est renforcée et de plus en plus de créateurs de contenus ont adopté une stratégie de « farming d’airdrop », catalysant encore plus la popularisation du phénomène.
Dans l’état actuel du marché, les airdrops peuvent être répartis en trois principales catégories :
- Airdrops de liquidité : le montant de l’airdrop reçu est proportionnel à la liquidité fournie, soit de façon linéaire, soit par palier, avec ou sans montant minimal. Ce système favorise généralement les gros portefeuilles, sauf dans le cas où une allocation minimale ou un plafond sont établis.
- Airdrops d’activité : le montant de l’airdrop reçu est proportionnel à l’activité fournie (nombre et volume de transaction, fréquence de transaction, chaînes utilisées, variété des transactions, etc.). Ce système favorise généralement les « farmeurs » (utilisateurs réalisant volontairement de l’activité pour maximiser leur allocation), selon la complexité et la prévisibilité des critères d’allocation.
- Airdrops « burn-to-earn » : le montant de l’airdrop reçu est proportionnel aux fonds dépensés, par exemple au total de frais de gas ou de trading dépensés, etc.
Selon les cas, les critères d’éligibilité peuvent intégrer plusieurs de ces composantes à la fois, ainsi que d’autres critères plus spécifiques tels que la détention d’un NFT d’une collection particulière, les contributions sociales (X, discord), etc.
La performance des tokens reçus via un airdrop en 2024
L’année 2024 a vu l’émergence de nombreuses tendances dans la finance décentralisée, notamment :
- Protocoles d’interopérabilité : Layer Zero, Wormhole, Orbiter, etc.
- Layer 1 & Layer 2 : Starknet, ZKsync, Mode, Hyperliquid, Movement.
- Liquid staking / Restaking : Eigenlayer, EtherFi, Swell.
- Projets d’infrastructure : Conduit, Caldera, Astria.
- Marketplaces NFT et outils de lancement de tokens : Tensor, Magic Eden, pump.fun.
Historiquement, les airdrops prenaient essentiellement la forme d’une distribution spontanée de tokens directement dans le wallet des utilisateurs, en « remerciement » pour leur contribution. Cependant, en 2024, les protocoles ont introduit des campagnes plus sophistiquées, souvent basée sur un système de points ayant pour but de stimuler la compétition et booster les contributions des utilisateurs.
La grande question qui se pose reste : ces airdrops sont-ils réellement performants dans la durée ? Pour y répondre, nous nous avons compilé une analyse des performances de 30 des plus gros airdrops de 2024, en mesurant leurs évolutions en termes de prix et de capitalisation depuis leur lancement.

Les performances des tokens post-airdrop montrent une hétérogénéité importante : 15 sont en positif et 15 sont en négatif. Si certains affichent des progressions significatives depuis leur lancement (comme JUP, KMNO, PURR, HYPE ou DRIFT), d’autres souffrent de pertes importantes, parfois supérieures à -50 % (tels que DYM, STRK, W, TNSR, etc.).

Est-ce que cela est nécessairement représentatif ? Peut-être que la stratégie des protocoles en question, l’écosystème auquel ils appartiennent ou la narrative dans lequel ils s’inscrivent a influé sur la performance du token. En revanche, il faut rappeler que la majorité des altcoins n’a pas rivalisé avec Bitcoin en 2024, du moins pas avant le mois de novembre.
Le problème du Low Float, High FDV
L’étude de l’évolution des capitalisations ci-dessus révèle que certains des tokens en difficulté souffrent d’un phénomène de dilution. C’est un mécanisme qui est typique des tokens lancés par des airdrops : c’est le cas d’école du “Low Float, High FDV”.
- Low Float : Une supply initialement limitée, conduisant à une forte dilution à mesure que de nouveaux tokens sont émis.
- High FDV : Une valorisation théorique excessive (Fully Diluted Valuation) rendant les prix initialement insoutenables.
Prenons quelques exemples afin d’imager ce phénomène :
- Le token de Starknet affiche une baisse de -64% depuis son lancement alors que l’évolution de sa capitalisation est positive (+15%).
- De la même façon, l’évolution de la capitalisation du ALT de Altlayer est positive par rapport à son lancement (+4%) bien que le token soit en grande difficulté (-46%).
- Le token de Wormhole affiche une perte de -73% depuis son ATH alors que sa capitalisation n’est “que” en baisse de -59%.
Pour l’expliquer, il suffit de regarder la quantité de tokens en circulation. Dans les cas évoqués ci-dessus, elles ont explosé en 2024 :
- Starknet : La supply en circulation est passée de 720M au lancement à 1.3B, avec des projections à 4B pour fin 2025.
- Wormhole : Une supply passée de 1.8B à 2.9B, prévue à 5B d’ici fin 2025.
Cette dilution constante exerce nécessairement une pression baissière sur les prix, puisque les nouvelles injections de tokens sur le marché dépassent largement la demande acheteuse. Ce phénomène (assez récent) a créé un changement de paradigme chez les investisseurs, qui réfléchissent désormais en Fully Diluted Valuation (FDV) et non plus en Market Cap.
Les libérations futures de tokens sont désormais prises en compte dans les calculs des investisseurs, forçant ainsi les projets à réagir et à lancer leurs tokens à des valorisations beaucoup plus basses que des projets similaires quelques mois auparavant :
- Le token de Starknet a été lancé à 1,4 milliards de dollars de capitalisation en mai 2024. Le token de zkSync (le principal concurrent) a été lancé queulques mois plus tard à 788 millions de dollars de capitalisation.
- Le token de Mode a été lancé à 74 millions de dollars de capitalisation en février 2024, tandis que celui de Kroma a été lancé quelques mois plus tard à 4 millions de dollars de market cap.
D’une tendance à une déception
La montée en popularité des airdrops a suscité de grandes attentes chez les utilisateurs, mais aussi de nombreuses déceptions. Initialement perçus comme une opportunité lucrative, ces airdrops sont rapidement devenus un phénomène sur-exploité, à tel point que la satisfaction des utilisateurs a décliné pour plusieurs raisons :
- Attentes trop élevées : Les success stories des premiers airdrops (Uniswap, Arbitrum) ont placé la barre très haut, créant un déséquilibre entre espoir et réalité.
- Répartitions frustrantes : La quantité de tokens attribuée s’est avérée insuffisante pour de nombreux utilisateurs, notamment en raison d’une surreprésentation des fermes industrielles.
- Critères d’éligibilité complexes : Les projets ont durci leurs conditions pour limiter les Sybil attacks, excluant une partie des utilisateurs.
- Problèmes techniques : Bugs, congestions blockchain et mauvaises communications ont aggravé les frustrations.
- Performance décevante des tokens : Beaucoup de tokens ont vu leur prix chuter drastiquement après leur lancement, démoralisant les utilisateurs.
En parallèle, l’essor des « chasseurs d’airdrops », combiné à la compétition féroce entre projets, a accentué le problème. Les campagnes de points et les systèmes d’affiliation ont amplifié l’engouement, mais aussi les déceptions. Des farmers industriels, utilisant des centaines de wallets automatisés, ont exacerbé les frustrations en accaparant une part disproportionnée des allocations.
Les projets eux-mêmes ont dû faire face à une réalité brutale : une fois l’airdrop terminé, l’activité sur leurs plateformes s’est souvent effondrée. Cette chute est particulièrement marquée pour les protocoles DeFi, où l’engagement artificiel des farmers industriels masque temporairement le manque d’utilisateurs organiques.

Les deux types de farmers :
- Farmers classiques : Ils se déplacent d’un projet à l’autre pour optimiser leurs gains d’airdrops. Une fois le token distribué, ils passent au suivant.
- Farmers industriels : Utilisant des bots et plusieurs centaines de wallets, ils créent une activité artificielle massive mais disparaissent dès que l’airdrop est terminé.
En conséquence, les projets retrouvent rapidement une base d’utilisateurs réduite à leurs véritables besoins, exposant souvent des metrics bien en deçà des sommets atteints durant la campagne.
Pourtant, ce modèle a ses avantages : des métriques gonflées temporairement peuvent attirer des investisseurs, favoriser des levées de fonds ou obtenir des partenariats stratégiques. Mais à long terme, cette pratique expose la faiblesse de l’adoption organique, compromettant la pérennité du projet.
L’importance du product market fit, par Hyperliquid
La réussite d’un airdrop repose souvent sur bien plus que la simple distribution de tokens. Un projet peut attirer une vague initiale d’utilisateurs grâce à une campagne d’airdrop, mais sans un produit solide répondant aux besoins réels des utilisateurs, cette dynamique s’effondre rapidement.
Un cas d’école illustre cette vérité : Hyperliquid. Le 29 novembre 2024, Hyperliquid a lancé l’un des airdrops les plus importants de l’histoire des cryptomonnaies. En distribuant 31 % de sa supply aux utilisateurs, le projet a non seulement marqué les esprits, mais a également démontré qu’un airdrop bien conçu pouvait générer une forte rétention. En l’espace de quelques jours, la capitalisation Hyperliquid a dépassé 10 milliards de dollars, avec des corrections minimes rapidement rachetées.

Le succès du lancement de HYPE réside à la fois dans l’exécution de l’airdrop (conséquente allocation de 31% de la supply attribuée à l'airdrop et donc à la communauté), dans le modèle de financement (absence d’investissements de VC) et surtout dans le succès de la plateforme qui fait preuve d’un product-market fit exceptionnel.
Hyperliquid a prouvé au marché que le système d’airdrop n’est pas délétère pour un projet, et qu’il peut au contraire fortement aider à l’onboarding de nouveaux utilisateurs : une campagne bien exécutée peut attirer efficacement des utilisateurs et booster l’activité de la plateforme.
Mais contrairement à ce que de nombreux projets ont pu penser ces derniers mois, un airdrop n’est pas suffisant pour assurer le succès de l’opération. C’est ensuite la qualité et l’intérêt du produit qui devront se charger de la rétention des utilisateurs. À ce jeu, Hyperliquid a "simplement" créé un produit idéal, qui répond parfaitement au besoin de ses utilisateurs et qui délivre ses promesses.
Le product-market fit reste le facteur principal pour maintenir l’attention des utilisateurs, comme le démontrent plusieurs excellents projets cryptos sans tokens (Jumper, Phantom, Rabby, Pump.fun, Polymarket, etc.) qui sont devenus aujourd’hui des grands acteurs de la finance décentralisée et qui le resteront probablement avec ou sans airdrop.
Les airdrops en 2025
Dans la continuité de 2024, la chasse aux airdrops devrait rester une activité centrale pour de nombreux utilisateurs en 2025. Cependant, les règles du jeu continuent d’évoluer, rendant la tâche plus complexe pour les farmeurs, mais aussi plus enrichissante pour les communautés réellement engagées.
Le cas Hyperliquid a ravivé l’enthousiasme autour des airdrops en montrant qu’une campagne bien pensée pouvait encore être un outil marketing puissant. L’exemple de HYPE devrait inspirer de nombreux projets à adopter des pratiques similaires, en s’assurant d’un équilibre entre la distribution communautaire et un produit à forte valeur ajoutée.
Les projets cherchent de plus en plus à récompenser les véritables contributeurs de leur écosystème. Par exemple, EigenLayer, Sanctum, Monad, Mitosis ou encore Movement intègrent désormais (ou prévoient de le faire) des critères de contributions sociales (création de contenu sur X, rôles Discord, participation à des campagnes). D’autres, comme Abstract, Berachain, Monad, Eclipse ou encore Celestia, ajoutent des critères spécifiques autour des NFTs et de collections spéciales.
Ce recentrage sur les utilisateurs engagés, au détriment des farmers industrielles, reflète une volonté des projets de bâtir des communautés solides. En mettant en avant l’aspect communautaire, les airdrops deviennent des outils non seulement pour attirer, mais aussi pour retenir des utilisateurs qui se sentent connectés émotionnellement au projet.
Enfin, il était impossible d’aborder l’année 2025 sans évoquer la spéculation autour de Base, le Layer 2 développé par Coinbase. Malgré un contexte réglementaire complexe, un éventuel lancement de token BASE pourrait devenir l’un des plus importants de l’histoire des airdrops. Si un tel événement se concrétise, les critères d’éligibilité pourraient inclure :
- Activité globale sur la blockchain Base (volume, transactions, bridge).
- Engagement communautaire (Base Learn, rôles Discord, badges d’événements).
- Participation à des campagnes comme On-Chain Summer.
L’airdrop, outil marketing par excellence dans l’écosystème crypto, n’a pas dit son dernier mot. Cependant, les projets devront innover et affiner leurs stratégies pour se démarquer dans un marché où les utilisateurs sont devenus plus exigeants. La clé résidera dans la capacité à équilibrer attractivité spéculative, rétention communautaire et utilité réelle.