Règlement MiCA : Dates clés, changements à venir et nouveaux enjeux
8 novembre 2024

Alors que l’année 2024 se termine, la régulation du secteur des crypto-actifs n’est pas en reste et ne connaît pas de vacances de Noël. En effet, entre l’entrée en application complète du règlement (UE) 2023/1114 « Market in Crypto-Assets » (MiCA) le 30 décembre 2024 (I), et des précisions à venir en fin/début d’année sur ce règlement, voire une esquisse de MiCA 2 par la Commission européenne (II), le paysage législatif et réglementaire devra être assidûment suivi par le secteur, surtout européen.
L’entrée en application complète de MiCA
Alors que la nouvelle de l’obtention de l’agrément « établissement de monnaie électronique » (« EME ») par Circle et Société Générale – Forge, une condition pour offrir un stablecoin sous MiCA¹ (autrement appelé par le règlement « jeton de monnaie électronique » ou « e-money token » ou « EMT »), a retenti dans le paysage crypto français, la date de l’annonce n’a pas été faite au hasard.
En effet, l’annonce a été faite le 1er juillet, au lendemain de l’entrée en application des Titres III et IV du règlement MiCA. Ces Titres traitent respectivement des stablecoins : adossés à un panier d’actifs (les «jetons se référant à des actifs » ou « asset-referenced tokens » ou « ART ») et les stablecoins adossés à une monnaie fiat, les EMT.
Brièvement, ces titres instaurent un cadre réglementaire uniformisé à l’échelle de l’UE, sur l’offre au public de stablecoins (imposant à l’offreur de publier un whitepaper très cadré, obtenir un agrément EME ou établissement de crédit etc.).
Il manquait toutefois le reste du règlement, qui lui, entrera enfin en application le 30 décembre 2024². Il comporte :
- Le titre I : qui porte sur l’objet, les définitions et le champ d’application du règlement, c’est-à-dire le périmètre d’application de ce dernier, ses contours et son sujet : les domaines et les acteurs auxquels il s’applique… ou non. À titre d’illustration, il s’applique aux acteurs situés dans l’UE ou offrant crypto/actifs ou services sur crypto-actifs aux européens. Sont exclus par exemple les services sur instruments financiers, la DeFi ou encore les NFT.
Toutefois, concernant la DeFi, MiCA précise qu’il ne s’applique pas, seulement si les services en question « sont fournis de manière entièrement décentralisée sans aucun intermédiaire ****»³. De plus, la notion de NFT est également précisée par le règlement :
« Les parties fractionnaires d’un crypto-actif unique et non fongible ne devraient pas être considérées comme uniques et non fongibles. L’émission de crypto-actifs en tant que jetons non fongibles en grande série ou collection devrait être considérée comme un indicateur de leur fongibilité. La seule attribution d’un identifiant unique à un crypto-actif ne suffit pas en soi pour le classer comme unique et non fongible. Pour que le cryptoactif soit considéré comme unique et non fongible, il convient que les actifs ou les droits représentés soient également uniques et non fongibles. […] À cet égard, lorsqu’elles évaluent et classent les crypto-actifs, les autorités compétentes devraient adopter une approche qui privilégie le fond par rapport à la forme, de sorte que les caractéristiques du crypto-actif en question déterminent le classement et non sa désignation par l’émetteur. »⁴
Autrement dit, une analyse au cas par cas sera faite par les régulateurs nationaux, qui auront leur mot à dire sur le fait de savoir si tel ou tel projet NFT, consiste réellement en une collection de tokens « non fongibles ». Si la réponse est négative : le règlement sera alors vraisemblablement applicable.
- Le titre II : qui traite d’une troisième catégorie de crypto-actifs, les crypto-actifs autres que les ART ou EMT. C’est ici une catégorie beaucoup plus large, et dans tous les cas moins contraignante que le régime des stablecoins : l’offreur de ces cryptos n’ayant pas besoin de l’agrément EME, et étant soumis à des obligations liées au whitepaper beaucoup moins lourdes que les offreurs d’ART/EMT. Cette différence de traitement souligne d’ailleurs une des préoccupations et raisons de ce texte : la protection de la stabilité monétaire et financière de l’Union européenne.
Ce n’est pas moi qui l’invente, il n’y a qu’à lire un des nombreux considérants⁵ du règlement, comme le considérant (5) qui énonce :
« De taille encore modeste, les marchés de crypto-actifs ne constituent pas à l’heure actuelle une menace pour la stabilité financière. Il est toutefois possible que des types de crypto-actifs qui visent à stabiliser leur prix par rapport à un actif spécifique ou un panier d’actifs puissent être massivement adoptés à l’avenir par les détenteurs de détail et une telle évolution pourrait poser des défis supplémentaires en matière de stabilité financière, de bon fonctionnement des systèmes de paiement, de transmission de la politique monétaire ou de souveraineté monétaire. ».
Cette partie n’a pas été très abordée ces derniers temps, le sujet de MiCA étant souvent traité quant à son impact sur les prestataires cryptos ou encore les stablecoins. Pourtant, ce titre II, de par son champs d’application très large, fera très certainement d’avantage parler de lui lorsqu’il sera concrètement et publiquement appliqué par les régulateurs.
- Le titre V : c’est surtout l’application de ce titre qui fait couler beaucoup d’encre, le titre qui instaure un nouveau régime sur les prestataires de services sur crypto-actifs (« PSCA »), remplaçant, pour les acteurs français, le régime des prestataires de services sur actifs numériques (« PSAN »). Les acteurs proposant des services cryptos devront obtenir un agrément PSCA⁶, estimé comme pouvant amener à des dépenses de 500 000 euros au total, selon de nombreux juristes et avocats.
Il impose à ces nouveaux acteurs, de manière non exhaustive : des exigences de fonds propres, des politiques de contrôle interne poussées, un reporting des abus de marché, une cybersécurité plus poussée avec des contrôles et tests de pénétration réguliers, et tout un tas d’autres mesures.
Il sera donc nécessaire pour ces acteurs de constituer un dossier, assez lourd, coûteux, long, chronophage mais digne d’une véritable institution financière, pour obtenir l’agrément. Et ce afin de proposer des services sur crypto-actifs tels que l’achat/vente de cryptos contre de la monnaie fiat, l’échange crypto/cypto, l’exploitation d’une plateforme de trading, la conservation des cryptos pour le compte de clients, le transfert ou encore le placement de crypto-actifs etc.
- Le titre VI : qui traite des abus de marché. Avec de telles dispositions, le délit d’initié, où une personne détentrice d’une information privilégiée, non connue du public, l’utilise pour vendre, acheter ou procéder à quelconque transaction, sera appliqué au secteur des crypto-actifs et donc sanctionné pénalement. Idem pour les manipulations de marché, via des fakenews par exemple, pour faire gonfler ou baisser le prix d’un token.
- Le titre VII : traite des pouvoirs et mesures de coordination des autorités de supervision, européennes comme nationales.
- Le titre VIII : traite des actes délégués qui, nous le verrons, auront une importance capitale dans l’efficacité de MiCA.
Je mentionne également le titre IX qui lui est assez particulier : il traite, comme dans tout acte législatif européen, des mesures transitoires, c’est à dire de l’organisation de l’entrée en application des mesures de MiCA dans le temps. Par exemple : c’est dans ce titre qu’il est disposé l’application des titres III et IV (sur les stablecoins) le 30 juin dernier, et du reste du règlement le 30 décembre. C’est aussi et surtout lui qui impose à la Commission un rapport sur des pistes de réglementation (ou pas) sur la DeFi, mais nous en parlerons plus tard.
Même si ce nouveau cadre sera applicable d’ici quelques semaines, les acteurs européens régulés avant le 30 décembre 2024, comme les PSANs, bénéficieront d’une période transitoire de 18 mois (concrètement jusqu’au 1er juillet 2026) pour être conformes au nouveau règlement… ou si leur demande d’agrément est refusée/acceptée entre-temps. D’ailleurs, l’application de ce nouveau régime coexistant avec cette période transitoire et d’adaptation pour les anciens acteurs, fait couler beaucoup d’encre tant du côté des régulateurs comme législateurs, que du côté des acteurs. Des régimes réglementaires différents, des transitions d’un régime national à européen pas toujours claires, des utilisations de la période transitoire vues d’un mauvais œil par les régulateurs : les développements de textes et avis sur la question sont loin d’être terminés⁷.
Nous le verrons plus tard, mais ces développements seront délégués tant à la Commission européenne qu’aux régulateurs européens que sont l’ESMA (« European Securities and Markets Authority », l’Autorité Européenne des Marchés Financiers) et l’EBA (« European Banking Authority », l’Autorité Bancaire Européenne), mais également par la pratique des régulateurs nationaux comme l’ AMF (« Autorité des Marchés Financiers ») et l’ACPR (« Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution »).
D’ailleurs, sur d’autres points clés du secteur, la position de la Commission est attendue, par exemple eu égard à la DeFi, les NFT ou encore au lending & borrowing.
La position de la Commission européenne sur un possible MiCA II
C’est l’article 142 de MiCA qui organise les prochaines étapes: la Commission, avant le 30 décembre, doit présenter un rapport devant le Parlement européen et le Conseil sur « les dernières évolutions en matière de crypto-actifs, en particulier dans des domaines qui ne sont pas abordés dans le présent règlement » et peut l’accompagner d’une « proposition législative ».
Ce rapport comprend un volet sur une évaluation du secteur de la DeFi ou des NFT « y compris une évaluation de la nécessité de la faisabilité de réglementer » mais également sur le volet des services de lending & borrowing ou le « traitement des services associés au transfert de jetons de monnaie électronique, s’ils n’ont pas été abordés dans le contexte du réexamen de la directive (UE) 2015/2366 ».
Concernant ce dernier point, il s’agit du traitement réglementaire des stablecoins (les fameux « EMT » sous MiCA) : sont-ils des crypto-actifs ou de la monnaie électronique ? La question se pose lorsque dans la phrase précitée, on comprend que la directive 2015/2366, est en fait la directive «DSP 2 » pour « deuxième directive des services de paiement ». Cette dernière est en effet en train d’être revue pour laisser place à une troisième DSP, mais également un règlement européen des services de paiement, dit « Payment Services Regulation » ou « PSR ».
Les conséquences de requalification des EMT en monnaie électronique pourrait être très graves pour le secteur, notamment les futurs prestataires de services de crypto-actifs, qui pourraient se voir appliquer une réglementation sur les services de paiement, en plus de MiCA.
Pour en revenir plus généralement à ce fameux rapport à venir, il y’a eu du nouveau, en off. En effet je le disais : il était attendu pour décembre 2024. Beaucoup de monde, et moi le premier, pensait conformément à ce qu’impose MiCA, que ce rapport allait aborder principalement la DeFi et ses pistes de réglementation.
Toutefois, lorsque Bill Hughes, directeur regulatory chez Consensys, publiait sur LinkedIn un post parlant de ce rapport, Peter Kerstens, qui travaille en tant que conseiller à la Commission européenne, sur le volet de la finance numérique et de la cybersécurité, explique :
« Not sure this is « no news » or « fake news ». There was never a requirement that the report requested by the legislator had to include legislative proposals. We have not started to draft the report, but who says it can not be started before March 2025 ? And maybe there is not much to report on. We never prioritized a regulatory framework for DeFi, so we can not be no longer prioritizing it. Crypto is very much in the policy spotlight right now with myriad delegated acts being prepared and MiCA application deadline looming. There is more policy than new legislative proposals... »
Ici le conseiller nous indique, en plus d’un conséquent retard dans la rédaction du rapport, que ce dernier, même si demandé par MiCA, ne pourrait traiter que légèrement de la DeFi : la Commission étant bien plus occupée à préparer des actes législatifs délégués (qui vont compléter MiCA conformément au titre VIII) que de rédiger un nouveau règlement, alors que le précédent n’est même pas encore entré complètement en application.
C’est une réponse qui rassure. En effet, beaucoup de flous et d’incertitudes demeurent avec MiCA, sa rédaction et son application. En plus de laisser le secteur de la DeFi se développer avant de tomber sous le coup de la régulation, la législation européenne pourra être affinée pour être taillée au plus près des contours du secteur des cryptos. MiCA étant un règlement européen qui s’est particulièrement démarqué parmi les autres, de part la célérité de son adoption et des débats durant les trilogues entre Commission, Parlement et Conseil européen.
C’est l’avantage d’une politique réglementaire européenne, qui semble se dessiner dans cette réponse : bien que celle-ci soit imparfaite, parfois trop rapide, souvent brutale, elle a au moins le mérite « d’essayer » de s’adapter. Et c’est toujours mieux (ou plus tolérable) qu’un vide permettant à un régulateur de faire ce qu’il veut (je pense ici à la Securities and Exchanges Commission de Gary Gensler aux Etats-Unis).
En attendant ce rapport, beaucoup de précisions viendront agrémenter MiCA : de par les régulateurs européens comme l’ESMA ou l’EBA, via des RTS (les « Regulatory Technical Standards » qui sont des textes complétant MiCA, expressément prévus par le règlement qui délègue ce travail aux régulateurs européens) ou Q&A (pour « Questions & Answers », des questions/réponses publiées par les régulateurs, exposant leurs positions et interprétations quant aux différentes questions posées par des acteurs concernant des points précis du texte). Mais des précisions se feront aussi par des actes délégués de la Commission, ou des décisions nationales de régulateurs tels que l’AMF ou l’ACPR, qui joueront un rôle clé dans l’application et l’efficacité de ce règlement MiCA, qui entrera pleinement en application le 30 décembre prochain.
Conclusion
Différents combats juridiques restent à mener, par exemple le 3 septembre dernier : la Commission européenne a retoqué des RTS de l’ESMA qui prévoyaient un audit de cybersécurité aux nouveaux PSCAs, les nouveaux prestataires cryptos sous MiCA . En réponse, le régulateur européen a exhorté la Commission d’intégrer cette obligation dans le règlement, via un acte délégué.
Un autre exemple réside dans des ITS publiés cette fois par l’EBA, qui obligeraient les PSCA, devant transmettre aux émetteurs offreurs de stablecoin indexé sur une monnaie fiat autre que l’euro, le nombre de détenteurs de ce stablecoin, mais avec pour information associée : le numéro d’un document officiel comme le passeport ou encore le numéro fiscal. Il apparaît ici évident que l’atteinte au droit à la vie privée paraît disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi qu’est celui de la simple analyse du développement du marché de stablecoin hors euro, au sein de l’UE.
Ces combats seront à mener par les acteurs directement régulés, mais également des représentants d’intérêts comme l’ADAN⁹, ou encore les juristes et avocats qui accompagnent toutes ces parties prenantes.
¹ Article 48 du règlement MiCA. ² Des articles de ces titres sont toutefois déjà applicables, mais de manière éparse, depuis le 29 juin 2023, tel que le décrit l’article 149(4) du règlement MiCA. ³ Considérant (22) du règlement MiCA. ⁴ Considérant (11) du règlement MiCA. ⁵ Les considérants sont des paragraphes explicatifs des dispositions de l’acte législatif européen, ils figurent avant les articles. ⁶ En vertu de l’article 59 du règlement MiCA. ⁷ C’est à ce titre qu’a été publié le 15 octobre dernier, au Journal Officiel de la République Française, une ordonnance n° 2024-936 relative aux marchés de crypto-actifs. Elle a justement pour but d’adapter le régime français de 2019 (dont le régime « PSAN ») au règlement MiCA, une bonne partie étant dédiée à l’application de la période transitoire bénéficiant aux PSANs régulés avant le 30 décembre. ⁸ Autre forme de mesure d’uniformisation/d’adaptation d’un texte européen, par les régulateurs européens, à l’instar des RTS. ⁹ Pour « association pour le développement des actifs numériques ».