13 octobre 2025
Début 2025, Berachain faisait partie des projets les plus en vue. Il n’aura fallu que quelques semaines pour que tout s’effondre, que la communauté se délite et que le token perde une grande partie de sa valeur, voire devienne même l’un des projets de 2025 les plus moqués. Six mois après le lancement, qu’en est-il de Berachain ? L’abandon par la communauté est-il justifié ? Le projet a-t-il une chance de remonter la pente ? C’est ce que l’on va chercher à savoir dans cet article.
Berachain est une blockchain pensée pour la DeFi et construite autour d’un modèle inédit : le Proof of Liquidity (PoL). Contrairement au Proof of Stake classique, où seuls les validateurs captent les émissions de la blockchain, le PoL cherche à aligner validateurs, protocoles et fournisseurs de liquidité.
Concrètement, lorsqu’un validateur propose un bloc, il ne conserve pas toutes les récompenses : il distribue une partie sous forme de BGT via des smart contracts appelés Reward Vaults. Ces vaults récompensent directement les utilisateurs qui apportent de la liquidité dans les projets de l’écosystème.
Ce système a deux effets majeurs : il incite les validateurs à collaborer avec les protocoles DeFi pour attirer les dépôts, et il crée un cercle vertueux qui attire la liquidité sur les projets les plus solides. Les validateurs, de leur côté, sont poussés à distribuer leurs récompenses de façon stratégique, puisqu’un surplus de BGT délégués leur permet de générer encore plus de récompenses lors de la validation.
Le fonctionnement de Berachain repose aussi sur un système à trois tokens bien distincts :
L’originalité du BGT réside donc dans son rôle hybride : à la fois levier de la gouvernance et outil d’incitation économique. Contrairement aux blockchains classiques où les tokens de gouvernance sont librement échangeables, ici ils ne circulent pas sur le marché. Cela limite la spéculation directe, mais renforce l’incitation à participer à la vie du réseau.
L’originalité de Berachain repose ainsi sur son modèle unique de Proof of Liquidity, qui cherche à créer un nouveau modèle d’incitation pour la DeFi. L’un des leviers les plus importants de ce système, c’est le BGT qui sert à la fois à inciter les fournisseurs de liquidités, mais qui détient aussi du pouvoir sur la distribution de ces récompenses. Cela en fait un actif précieux, mais qui ne peut pas être directement échangé sur les marchés.
Environ 7 mois après son lancement, le token BERA a perdu près de 85 % de sa valeur et la TVL de Berachain a baissé d’un facteur similaire. Il est difficile de conclure qu’une erreur ou une autre soit la seule explication de l’échec de Berachain, mais voici quelques raisons qui peuvent l’expliquer.
L’airdrop de BERA, censé fédérer la communauté et récompenser les pionniers, a finalement laissé un goût amer. Certes, ce sont 15,8 % de la supply qui ont été distribués, mais la répartition a suscité de nombreuses critiques. Presque 45 % ont été alloués aux détenteurs des collections NFT Bong Bears et leurs rebases, concentrant ainsi une large quantité de tokens entre quelques mains.
Un peu plus d’un quart des tokens ont été distribués aux détenteurs de BNB ainsi qu’au programme Boyco, correspondant à plus de 2 milliards de dollars de pre-deposits. À l’inverse, seulement 13 % de l’airdrop a été alloué aux utilisateurs actifs du testnet et aux membres actifs de la communauté. Ce déséquilibre a donné l’impression que l’airdrop favorisait avant tout une poignée d’initiés plutôt qu’une distribution équitable.
Par ailleurs, les investisseurs et l’équipe ont vu leurs allocations bloquées pendant un an, ce qui a contribué à limiter l’inflation sur le token BERA, mais la tokenomics a renforcé l’idée d’un énième token contrôlé en majorité par l’équipe et les investisseurs. Ils représentent ici 51,1 % de l’ensemble des 500 millions de tokens BERA qui seront distribués jusqu’en 2028.
Le positionnement stratégique de Berachain n’est pas le plus simple. Le marché actuel voit une croissance exponentielle du nombre de layer 2 qui viennent se greffer par-dessus Ethereum, certains accaparant des parts de marché importantes. D’autre part, d’autres projets font le choix de lancer leur propre layer 1, avec une différenciation sur la technologie utilisée (plus de transactions par seconde, orientation vers un cas d’usage particulier, utilisation du langage Move, etc.).
La particularité de Berachain réside dans le Proof of Liquidity, qui l’oblige à déployer son propre layer 1 puisque ce mécanisme particulier doit être implémenté au niveau du consensus, ce qui serait impossible à faire pour un layer 2.
Berachain souhaite néanmoins rester proche de l’écosystème Ethereum en proposant une compatibilité totale avec l’écosystème EVM. Ce choix le place dans une situation à double tranchant : d’un côté, cela favorise l’arrivée de développeurs qui peuvent facilement faire la transition vers Berachain ; de l’autre, cela place Berachain en concurrence directe avec l’ensemble de l’écosystème Ethereum, dans un environnement saturé.
Berachain ne cherche pas à détrôner Ethereum, mais la nécessité d’avoir son propre layer 1 le place dans une situation difficile.
Dans le triptyque qui structure l’économie de Berachain (BERA, BGT et HONEY) un seul se démarque réellement : le BGT. Non transférable mais au centre du modèle PoL, il concentre plusieurs utilités, ce qui en fait l’actif le plus convoité de l’écosystème.
À côté, le rôle du BERA apparaît beaucoup plus limité. Utilisé pour le gas et le staking, il joue une fonction indispensable mais peu attractive pour les investisseurs. On peut le comparer directement à ETH, mais Ethereum bénéficie d’un statut unique, d’un réseau riche et d’une ancienneté importante que Berachain ne peut pas encore revendiquer.
Pour séduire au-delà de sa communauté, il aurait fallu donner à BERA des cas d’usage concrets et différenciants. Notons que cette faiblesse est partiellement corrigée dans le PoL v2 (que l’on aborde un peu plus loin dans l’article).
Le même constat peut être fait pour HONEY, le stablecoin natif, qui ne se différencie pas vraiment des stablecoins concurrents et qui ne joue aucun rôle particulier dans le PoL. Il aurait pu être intéressant qu’il ait été conçu comme un stablecoin avec rendement. Par exemple, adossé à des bons du Trésor ou à d’autres produits comme l’USDe, pour générer nativement du rendement et devenir un vecteur d’attractivité pour l’écosystème.
Il ne s’agit pas ici vraiment d’une erreur, mais plutôt d’une opportunité manquée, qui aurait pu faire la différence.
Même si aucune émission supplémentaire n’a été faite en faveur de l’équipe ou des investisseurs, l’offre de BERA n’est pas restée fixe. Les récompenses en BGT, une fois converties, ont entraîné une création continue de nouveaux tokens. En un peu plus de huit mois, l’offre en circulation est passée d’environ 109 millions à 128,2 millions de BERA, soit une hausse de 17,6 % sur la période. Annualisé, cela représente une inflation proche de 27 %.
À cela, il faut ajouter que 21,5 millions de BGT sont aujourd’hui en circulation. Ces tokens peuvent être instantanément convertis en BERA, et même s’il est peu probable que tous le seront, cela reste de l’inflation qui peut être émise à tout moment. Cela peut avoir un effet particulièrement négatif si le prix du token BERA remonte, motivant certains détenteurs à profiter d’un gain immédiat plutôt que des récompenses de long terme du BGT.
Comme on l’a évoqué précédemment, le token et la TVL de Berachain ont baissé de 85 % depuis le lancement en février, mais qu’en est-il des autres données on-chain ? Tout va-t-il vraiment si mal ?
Un détail important à noter sur ce graphique est que la principale chute de TVL de Berachain a été enclenchée en mai, soit deux mois après le lancement. Cela correspond au moment du déblocage des actifs du programme Boyco.
Ce programme a permis à Berachain de s’assurer au moins 2,2 milliards de dollars de dépôts avant même le lancement de la chaîne, en échange de 2 % de la supply totale, soit environ 12,5 % de l’airdrop. Au moment du déblocage de mai, au moins 1,5 milliard de dollars ont été très rapidement retirés de la chaîne.
Le token BERA, ayant déjà été fortement vendu, a vu son prix baisser à nouveau pour atteindre les prix actuels. La baisse du prix de BERA a provoqué une diminution des récompenses qui a naturellement obligé d’autres capitaux à sortir, diminuant la TVL de Berachain de 600 millions supplémentaires dans les 30 jours qui ont suivi.
Cette baisse d’activité se visualise aussi sur la courbe d’évolution du nombre cumulatif d’adresses créées sur Berachain. On observe un net ralentissement de la croissance à partir du début du mois de juillet, ce qui correspond précisément à la fin de la baisse de la TVL de Berachain.
Cette tendance se confirme aussi du côté du nombre de transactions quotidiennes traitées par la chaîne, qui est clairement sur une pente décroissante depuis le lancement, même s’il est vrai que depuis le mois de juillet, l’activité semble remonter légèrement.
La grosse baisse du début du mois de septembre est due à la mise en place d’une mise à jour qui impose un frais minimum, ce qui a grandement permis de limiter le spam et les bots on-chain. Cela fausse un peu les données, mais il semble possible que l’activité sur Berachain soit lentement en train de se relever. Cela reste à confirmer.
L’analyse de ces données on-chain semble pointer du doigt deux causes principales de l’échec de Berachain :
Au final, les deux points forts de Berachain ont été bien affaiblis :
Après coup, Berachain aurait probablement gagné à adopter une stratégie plus progressive. Un lancement avec des récompenses moins généreuses, mais mieux calibrées, aurait sans doute permis de consolider d’abord leur base d’utilisateurs fidèles et réellement engagés.
Le prix du BERA aurait ainsi pu évoluer de manière plus stable, accompagnant une croissance organique de la TVL portée par des investisseurs de long terme, plutôt que d’attirer massivement des capitaux opportunistes qui sont repartis aussi vite qu’ils sont arrivés.
Il est important de préciser que Berachain reste un projet jeune. D’autres chaînes comme Solana, la BNB Chain ou Arbitrum ont, eux aussi, connu des débuts chaotiques avant de s’imposer comme les acteurs majeurs qu’ils sont aujourd’hui. D’autant plus que Berachain dispose d’une équipe active qui continue de développer son projet.
Malgré des statistiques plutôt décevantes, l’équipe de Berachain continue d’avancer avec plusieurs mises à jour importantes qui ont été réalisées ou qui doivent arriver bientôt. Détaillons chacune d’entre elles dans l’ordre chronologique.
Dans la version originale du PoL, les incentives pour les émissions étaient principalement redistribuées aux BGT stakés. Si ce modèle donnait beaucoup d’intérêt à détenir du BGT, il en offrait peu au BERA, servant principalement à payer le gas et récoltant de maigres frais de transactions via le staking.
Le problème de ce modèle est que le BGT est convertible en BERA, mais pas l’inverse. Le BGT, un actif intéressant, avait donc sa valeur intrinsèquement liée à celle du BERA, qui, lui, était beaucoup moins attractif. Dans le PoL v2, cette convertibilité à sens unique ne change pas, mais environ un tiers des récompenses autrefois distribuées aux BGT reviennent désormais aux BERA.
Toucher ces récompenses nécessite de prendre part à un nouveau module (sWBERA) dans lequel on peut déposer des BERA. La période de déblocage est quant à elle de sept jours, afin de limiter l’impact de la liquidité mercenaire.
Les incentives non BERA sont swappées pour du BERA automatiquement, ce qui introduit donc également un mécanisme de buyback qui profite d’autant plus à la valeur du BERA et donc aussi à celle du BGT.
En trois mois, sWBERA a reçu 4,3 millions de dollars de BERA. À ce rythme, c’est 20,3 millions de dollars de BERA qui seront distribués chaque année via ce nouveau programme, offrant un rendement actuel de 62 %.
À l’heure actuelle, ce sont 12 millions de tokens BERA qui ont été déposés dans ce module. C’est une goutte d’eau par rapport aux 213 millions de BERA stakés via les validateurs. L’équipe de Berachain affirme que le sWBERA a été conçu de manière à permettre le staking liquide et s’attend à voir émerger des solutions permettant aux holders de BERA de cumuler les frais on-chain déjà implémentés dans le PoL v1 et les nouvelles incitations du PoL v2.
Le staking de BERA a déjà été intégré sur Binance, Bitget et Gate.
En août 2025, Berachain a activé un hard fork incluant quatre BRIP (Berachain Improvement Proposals) majeurs qui modifient plusieurs fondements du protocole :
Même si ces changements passent relativement inaperçus pour l’utilisateur final, ils préparent le terrain pour la suite. En renforçant la stabilité du protocole et en intégrant PoL au cœur du consensus, la mise à jour facilite la mise en place de solutions de staking plus efficaces et ouvre la voie à de futures évolutions de l’écosystème.
Berachain prépare le lancement de son nouveau système d’incitations : Community Rewards and Incentives for Meaningful Engagement (C.R.I.M.E.).
L’idée est de structurer les récompenses pour la communauté et les builders autour de critères mesurables et durables. Plutôt que de distribuer des ressources de manière dispersée, les incitations seront basées sur des indicateurs précis comme l’activité on-chain, le volume de trading, la TVL ou encore l’utilisation du BERA dans l’écosystème.
Les critères plus qualitatifs, comme l’impact culturel ou la force communautaire, resteront suivis, mais ne pèseront pas autant que les données chiffrées. Enfin, les récompenses seront étalées dans le temps afin de responsabiliser les équipes et d’éviter le court-termisme.
Build-A-Bera est déjà à l’origine de plusieurs projets phares de l’écosystème. L’équipe veut désormais en faire un pilier encore plus visible de sa stratégie. Concrètement, Build-A-Bera va relever la barre à l’entrée en se concentrant sur des équipes solides, capables de livrer rapidement des produits de qualité. Les prochains batchs seront plus restreints mais composés de profils jugés « S-tier ».
En parallèle, Berachain prévoit un canal de financement rapide (Fast Grants) pour les développeurs ou petites équipes en phase très précoce, notamment dans les régions émergentes. Build-A-Bera offrira aussi plus de soutien opérationnel (business dev, ressources techniques) pour aider ces équipes à scaler.
Berachain et son PoL sont déjà une sorte d’incubateur à financer des projets. Relancer le programme Build-A-Bera est donc une étape logique pour pré-incuber des projets et développer l’écosystème de Berachain, qui reste l’une de ses forces principales.
Si le Proof of Liquidity est au centre du récit Berachain, l’équipe rappelle qu’il ne constitue qu’un élément d’un ensemble plus large. La vision originelle de la chaîne comprenait aussi des primitives DeFi natives, mises de côté un temps pour des raisons réglementaires et techniques, mais désormais de retour.
Parmi les prochaines étapes : l’extension du rôle du stablecoin HONEY, qui peut désormais être minté à partir d’USDT ; le lancement de Bend, protocole de lending natif pensé pour une meilleure efficacité du capital et une liquidité plus profonde ; et enfin Berps, une infrastructure de produits perpétuels on-chain, encore en phase de discussion mais au cœur des ambitions futures.
Berachain veut ainsi consolider son socle DeFi en créant des briques fondamentales directement au niveau de la chaîne, pour soutenir l’expansion de son écosystème.
Berachain a connu un lancement chaotique et a clairement déçu une partie de sa communauté, avec un airdrop controversé, une inflation mal maîtrisée et un manque d’utilité du token BERA. La fuite des capitaux et la baisse de la TVL ont donné l’image d’un projet en perte de vitesse.
Cependant, il serait prématuré de l’enterrer dès à présent. L’équipe reste active, les mises à jour techniques comme les BRIP renforcent la solidité de la chaîne, et le PoL v2 apporte des ajustements concrets aux incentives, même si son succès semble limité pour l’instant. Le lancement de C.R.I.M.E., le retour de Build-A-Bera et l’arrivée de nouvelles briques DeFi montrent une volonté de bâtir sur le long terme.
Au final, Berachain reste un pari risqué, mais pas un projet mort. Sa réussite dépendra de sa capacité à regagner la confiance des utilisateurs et à prouver que son modèle unique de Proof of Liquidity peut réellement s’imposer dans un marché saturé.