Internet Capital Markets (ICM) : La nouvelle narrative aux airs de memecoin 2.0
19 mai 2025

Une nouvelle narrative émerge dans la crypto : les Internet Capital Markets (ICM). Portée par des plateformes comme Believe App, cette tendance promet de révolutionner le financement des projets, mais permet surtout de recycler les mécaniques des memecoins. Entre révolution et spéculation, voici notre analyse des ICM.
Préambule
Depuis plusieurs années, chaque cycle du marché des cryptos a été porté par des narratives, basées sur des idées simples, virales et facilement compréhensibles par les investisseurs : les ICOs en 2017, la DeFi puis les NFTs en 2021, et enfin les memecoins en 2024.
Ce résumé peut sembler simplifié et caricatural, mais il permet d’illustrer un point intéressant : il suffit d’un minimum d’innovation technique, d’une bonne narration et de suffisamment de spéculation pour créer la tendance qui catalyse l’intérêt du marché et des investisseurs.
Au fond, chaque projet crypto repose sur une idée ou un concept capable d’attirer l’attention. Que cela soit une véritable innovation technologique ou simplement une blague, l’idée est la même : le marché y accorde de l’attention car il considère que cela peut être la prochaine tendance.
Alors pourquoi rappeler tout cela ? Parce que ces derniers jours, une nouvelle tendance est en train d’émerger : celle des Internet Capital Markets (ICM). Pour faire simple, il s’agit de permettre à n’importe qui de créer, financer ou soutenir des projets, en transformant des idées en actifs numériques immédiatement tradables.
Cette narrative a récemment gagné en visibilité avec l’explosion de Believe App, une sorte de launchpad pour créer des tokens à partir d’un simple tweet. En théorie, le but est d’aider les projets early-stage à lever des fonds et gagner en visibilité.
Dans la pratique, cette méta rappelle davantage celle des memecoins, mais maquillés derrière une façade plus sérieuse. Néanmoins, ne s’agit-il pas de la combinaison parfaite pour la prochaine narrative du secteur ? Mettons de côté les “à priori” et voyons ça ensemble.
Que sont les Internet Capital Markets ?
Derrière le terme Internet Capital Markets (ICM) se cache une idée simple : construire une infrastructure de marchés financiers ouverte où n’importe qui peut créer et échanger des actifs adossés à des projets, des entreprises, des concepts ou des idées.
Contrairement aux marchés traditionnels, par nature fermés, réglementés et réservés à certains acteurs, les ICM s’inscrivent dans une logique plutôt permissionless. Un porteur de projet peut publier une idée, le public y investit via le token et le volume de trading entraîne des frais qui permette au builder de se financer.
Si ce concept est présenté comme “révolutionnaire” par certains, il est en réalité inspiré d’un mélange de plusieurs éléments déjà existants :
- Les ICOs, qui ont permis aux projets de lever des fonds directement auprès du public ;
- Les memecoins, qui ont montré la puissance de la spéculation dans l’écosystème ;
- Les launchpads, qui ont apporté une structure pour les levées en automatisant les processus techniques ;
- Les marketplaces de socialfi, qui ont montré que l’attention et l’engagement peuvent devenir des vecteurs de valeur.
Autrement dit, c’est un mélange entre Kickstarter et Pump.fun. Si certains évoquent les ICMs comme des marchés pour démocratiser l’innovation, voire même des futurs “NASDAQ décentralisé”, d’autres y voient plutôt une nouvelle narrative pour spéculer sur du vent. La réalité se trouve-t-elle au milieu de ces deux idées ?
Le rôle central de Believe App (et Launchcoin)
La narrative des Internet Capital Markets n’est pas récente, mais elle a pris une nouvelle ampleur depuis quelques jours avec le succès de Believe App. Lancée en début d’année 2025, cette plateforme construite sur Solana permet à n’importe qui de créer un token en répondant à un tweet avec “@launchcoin $TICKER”.
Le token est alors automatiquement déployé selon une courbe de bonding dynamique avec une supply limitée et des frais particulièrement élevés au lancement, incitant à entrer tôt et à hold pour compenser.
Le principe est simple : si l’engagement du tweet est suffisant, le token est lancé. Le créateur reçoit ensuite 50 % des frais de trading, tandis que l’autre moitié est captée par Believe. Si la capitalisation atteint 100 000 dollars, le token est migré vers une liquidité plus profonde (via Meteora). À ce stade, les frais sont réduits, et les créateurs peuvent potentiellement commencer à générer un revenu récurrent.
Note : le fonctionnement est très similaire au mécanisme de Pump.fun, où on retrouve une bonding curve puis une migration sur un DEX classique.
Believe App fonctionne donc comme un launchpad social, où il est possible d’émettre des actifs simplement, de les distribuer via X et de monétiser instantanément des idées. Cela repose sur deux éléments principaux :
- Believe App, l’interface utilisateur et la plateforme sociale (également disponible sur l’App Store sous le nom FOMO – Never Miss Out) ;
- Launchcoin ($LAUNCHCOIN), à la fois le token de l’écosystème et l’outil utilisé pour les lancements de tokens.
Ce modèle attire un nouveau profil de fondateurs : des solo builders, influenceurs ou app developers qui peuvent désormais financer leur projet (ou tester une idée) sans lever de fonds auprès de VCs. La promesse est celle d’un bootstrap plus facile, où l’idée devient token, et le marché décide si elle mérite des capitaux.
Note : le $LAUNCHCOIN est utilisé pour alimenter le bonding curves et verser les frais aux créateurs. Il a dépassé les 300 millions de dollars de capitalisation.
Révolution ou rebranding des memecoins ?
Derrière la volonté de simplifier l’accès au financement pour n’importe qui, les ICMs semblent surtout recycler les dynamiques déjà observées lors des précédentes vagues spéculatives des ICOs, des NFTs et des memecoins.
- Absence d’utilité réelle des tokens : la plupart des actifs émis via Believe n’ont ni usage, ni lien direct avec le futur produit, ni droit à la gouvernance. Le site lui-même précise que les tokens ne confèrent aucun droit économique.
- La dynamique de bonding curve, de liquidité croissante et de migration vers un DEX est quasiment identique à celle de Pump.fun.
- La majorité des projets sont initiés via Believe sans aucune roadmap concrète, sans démonstration de besoin marché, ni véritable objectif long terme. On spécule d’abord, on verra ensuite.
Par ailleurs, à où les memecoins jouaient sur l’humour ou la culture de l’internet, les ICM misent sur la promesse d’un projet, même si ce dernier n’existe pas encore. On peut y voir un rapprochement avec la tendance des Agents IA en fin d’année 2024, avec des tokens rattachés à un usage théorique, mais où l’on spécule avant que le projet n’ait délivré quoi que ce soit.
Cela crée une forme de spéculation gamifiée, où l’on mise sur l’attention, le momentum et le branding social pour générer des volumes. Les builders sont incités à “vendre une vision” plutôt qu’à livrer un produit, car les frais sont captés dès les premières heures d’activité du token.
Finalement, plusieurs critiques émergent de cette dynamique :
- Modèle extractif : les frais de lancement (souvent 2 à 4 % par transaction) sont captés par la plateforme, sans redistribution claire aux investisseurs.
- Modèle court-termiste : les builders génèrent surtout des bénéfices via les frais de trading dans la période de lancement, mais n’ont pas de réelle incentive à prolonger sur le long terme.
- Volatilité extrême : les tokens peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions de dollars de capitalisation en quelques heures avant de s’effondrer tout aussi vite.
- Absence d’utilité : ces tokens ne sont ni des actions, ni des parts. Ils n’offrent absolument aucun droit sur le projet.
- Asymétrie informationnelle : le créateur du token est souvent le seul à connaître ses intentions réelles. Rien ne l’oblige à construire quoi que ce soit.
- Promotion sélective : certains tokens semblent bénéficier d’un soutien de l’algorithme ou de Believe.
Pourquoi cela peut quand même fonctionner ?
Les Internet Capital Markets n’inventent pas vraiment un nouveau modèle. Dans les faits, ils recyclent des mécaniques déjà connues : une plateforme qui permet de lancer des tokens facilement (Believe App, ici équivalent à Pump.fun), une spéculation rapide, une simplicité de compréhension et un nouveau narratif séduisant.
La seule différence ? On remplace le côté “fun” des memecoins (l’élément déterminant dans leurs succès) par un semblant de projet : une app, un outil, une idée. Mais dans le fond, c’est exactement la même logique, à savoir de la spéculation sur le projet qui attirera le plus l’attention du marché, peu importe pour quelle raison.
D’ailleurs, ce modèle a déjà montré qu’il pouvait fonctionner dans d’autres contextes. En fin d’année 2024, la méta des agents IA a suivi un schéma très similaire. La plateforme Virtuals permettait de créer des facilement tokens, dont certains ont atteint des valorisations dépassant le milliard de dollars.
Finalement, que cela soit une blague, un projet d’IA ou une idée de start-up, le marché n’en a pas grand chose à faire du “fondamental” derrière le token. Ce qui compte est d’avoir les ingrédients nécessaires pour attirer l’attention du marché simplement : trouver une histoire dans laquelle croire, offrir la possibilité d’être là avant tout le monde et favoriser la spéculation.
En ce sens, les ICM peuvent donc parfaitement répliquer ce phénomène. Même si la majorité des projets sont creux, peu importe. Pour une partie du marché, le simple fait de pouvoir spéculer tôt sur un actif à potentiel narratif suffit.
Tout comme Pump.fun et Virtuals ont explosé après le succès de quelques tokens qu’ils ont lancé, le succès des ICM et de Believe dépendra évidemment de la réussite d’un ou plusieurs tokens dans les prochaines semaines.
Conclusion
La méta des Internet Capital Markets a tout pour séduire : une UX virale, une logique spéculative claire, une narration simple à comprendre et une promesse d’émancipation face aux modèles traditionnels de financement. Mais en l’état actuel, ce que le marché appelle ICM ressemble bien plus à une extension déguisée du phénomène memecoin qu’à une réinvention sérieuse des marchés financiers.
Avec Believe App, on a surtout remplacé les images de chien avec des chapeaux sur la tête par des applications “à en devenir”, en jouant sur la même mécanique : créer un token facilement, générer du volume rapidement, et capter l’attention pour provoquer une envolée du prix. La structure reste la même, seuls les attributs narratifs ont changé.
Cela étant dit, il ne faut pas jeter toute l’idée. À la base, la vision des ICM est beaucoup plus ambitieuse : permettre à n’importe quel entrepreneur ou projet web natif de lever des fonds, tester une idée, et construire un produit sans passer par les circuits fermés du capital-risque. Ce n’est pas cette vision qui est en cause aujourd’hui, mais plutôt son implémentation actuelle, dévoyée par un marché en quête de rendements rapides.
En attendant, il faut rester lucide. Le marché apprécie les narratifs qui disposent des bons ingrédients et il y a de forte chances que les ICM, Believe et Launchcoin continuent de faire parler d’eux.